omment
est née l'idée de traduire
la Sainte Bible en français
En juillet 1532,
deux vaudois qui rentraient de mission informèrent leur communauté
que les réformateurs de suisse professaient la même doctrine
évangélique qu'eux. La communauté vaudoise fut
donc vivement intéressée par écouter leur prédication.
Elle convia Guillaume Farel et son ami Saunier à venir prêcher
devant une grande assemblée réunie en synode à
Chanforans le 12 septembre 1532. Se retrouvérent là des
vaudois de toutes origines, nobles, seigneurs et paysans, de Bourgogne,
de Lorraine, de Calabre ou de Bohême.
GUILLAUME
FAREL (1489-1565) était un gentilhomme dauphinois cultivé,
courageux et impulsif, disciple de Lefèvre d’Étaples et membre du
groupe de Meaux, qui avait traduit en latin avec Levèfre
d'Etaples une Bible, publiée en 1528. Farel avait été
professeur de grammaire et de philosophie au collège parisien du
Cardinal-Lemoine mais avait rompu avec la tradition catholique dès
1521. La violence de son langage et son impétuosité lui valaient
partout des ennemis. Farel fut chassé de Bâle en partie à cause
d’un conflit avec Érasme, puis du pays de Montbéliard, où il diffusa
la Réforme et publia en 1524 "Le Sommaire", première oeuvre
dogmatique protestante en langue française. Après la dispute de
Berne en 1528, les autorités bernoises le chargèrent de réformer
toute la Suisse romande, œuvre qu’il réalisa surtout à Genève avec
l’aide de Calvin et à Neuchâtel avec celle de Viret, non sans difficultés
en raison de sa raideur et des résistances tenaces qu’il rencontrait.
|
La prédication
de Farel chez les vaudois fut reçue très favorablement
et une déclaration commune très nettement évangélique
fut adoptée.
A cette occasion, les barbes vaudois montrèrent à Farel
les précieux exemplaires manuscrits de l'Ancien et du Nouveau
Testaments qu'ils possédaient, avec une copie de la Vestus Italia
traduite vers l’an 157 sur les Manuscrits Originaux de l’Église d’Antioche.
Ils étaient écrits en langue vernaculaire (langage du
peuple). Farel trouvait dommage qu'ils n'en possèdent que de
rares copies. Elles ne pouvaient servir qu'à peu de gens. Farel
savait qu'en France des travaux de traductions bibliques avaient déjà
été entrepris : lui-même et ses amis Gérard,
Roussel, Michel d'Arande, Simon Robert et Vadasta y avaient travaillé
en 1525. Roussel avait déjà traduit le Pentateuque. Mais
les travaux étaient restés sans lendemain.
C'est donc à
Farel et aux vaudois que l'on doit l'idée de rétablir
un texte biblique en français, qui fût basé
sur les textes originaux et qui serait imprimé pour une plus
grande diffusion tant en pays vaudois qu'en France, pays où la
parole de Dieu était très peu présente dans le
grand public.
En octobre 1532, les vaudois Martin Gonin, pasteur d'Angrogne, et Guido
se mirent en relation avec l'imprimeur genevois Pierre de Wingle. En
mars 1533, celui-ci obtint l'autorisation du conseil de la Ville d'imprimer
une Bible française.
Entre temps, les vaudois des Alpes avaient organisé une immense
collecte de fonds parmi toutes les communautés de la diaspora
vaudoise, et rassemblé une immense somme d'argent pour l'impression
(800 écus d'or soit l'équivalent de 20 ans de salaire
d'un ouvrier spécialisé de l'époque, selon l'estimation
de J.F. Gilmont). C'est Farel qui fut chargé de coordonner le
projet.
|
omment
Pierre-Robert Olivétan
se mit au travail à la fin de l'année 1533
Farel n'avait pas envie
d'imprimer une simple traduction de la Bible latine de Lefèvre
d'Etaples : ce texte était basé sur la version latine de
la Vulgate mais cependant avait été corrigé en suivant
les textes grecs du Nouveau Testament. Farel préférait qu'une
nouvelle traduction soit réalisée directement à partir
des textes originaux hébreux et grecs. Il lui fallut une année
pour convaincre son ami Pierre-Robert Olivétan, né vers
1506 sous le nom de Louys Olivier, de se lancer dans ce travail considérable. |
Farel avait connu
Olivétan vers 1529 à travers une lettre de présentation
que lui avait adressée Boniface Wolfhard. Voici ce qu'il était
écrit de lui :
" Ce jeune
homme, qui aime d'un amour ardent les saintes lettres, et chez lequel
on trouve une piété et une intégrité
extrêmes, se dérobe en ce moment à sa charge
de prédicateur, comme étant au-dessus de ses forces,
soit qu'il use en cela de modestie, soit qu'il ait une parole peu
facile ".
En effet, Olivétan
était peu doué pour la prédication en chaire. En
revanche, c'était un homme très savant en hébreu
et en grec qu'il avait étudié de 1528 à 1531 à
Strasbourg. En 1531, il alla à Neuchâtel où le conseil
de la ville l'engagea comme maître d'école. L'insistance
de Farel fut sans relâche pendant les premiers mois de 1533. Olivétan
ne se sentait pas capable de traduire la Bible, par modestie surtout.
Puis,
il comprit que cette insistance était un véritable appel
de Dieu. Il accepta donc de traduire la Bible.
Il s'installa aux
Vallées, dans les Alpes, chez les vaudois. Olivetan avait à sa
disposition de nombreux anciens manuscrits de Lefèvre d’Étaples, dont
un de la Vestus Italia ou Version en Vieux Latin, traduite en 157 ap
JC sur les manuscrits de l'2glise d'Antioche. Il dit expressément s’être
servi de versions latines autres que la Vulgate. S’il ne précise pas
d’avantage, c’est uniquement par prudence évangélique. Il consulta aussi
la Bible Allemande de Martin Luther, la Teplice Bohémienne, et la Version
Romanche des Vaudois. Pour le texte Hébreu de l’Ancien Testament, il
disposait des trois premières éditions imprimées du Texte Massorétique
(1488, 1491, 1494), dont la troisième fut utilisée par Luther. Pour
le Grec du Nouveau Testament, il avait accès aux quatre premières éditions
du texte d’Érasme de Rotterdam (1516, 1519, 1522, 1527) qui devint connu
comme le Texte Reçu. Olivétan travailla avec des dictionnaires
de l'époque, le "Dictionarium hebraicum" de S. Munster,
publié à Bâle en 1525 et le "Thesaurus linguae
sanctae" de S. Pagnini, publié à Lyon en 1529. Il
termina le travail le 12 février 1535 : c'est à cette
date qu'il rédigea la belle préface qui accompagne la
première édition de sa Bible. (Sur l'illustration :
la page de garde de la Bible d'Olivétan de 1535, in-folio de
24,5x34 cm, au total la Bible comporte 416 feuillets).
|
a
première Bible française traduite sur les textes originaux est imprimée
en 1535
L'imprimeur Wingle
édite la Bible d'Olivétan à Serrières, près
de Neuchâtel où le traducteur se rend en mars 1535 pour
vérifier les épreuves d'imprimerie. En juillet, il retourne
aux Vallées. De 1536 à 1538, nous savons qu'Olivétan
réside à Genève où il redevient maitre d'école
et précepteur des enfants de Chautemps, un conseiller municipal.
Le première page de la Bible d'Olivétan, Genèse
chapitre 1.
On note que la numérotation des versets n'existait pas encore,
chaque étoile dans le texte renvoie à une note dans la
marge.
Olivétan
part ensuite pour l'Italie en 1538 et nous perdons sa trace. La nouvelle
de sa mort, survenue mystérieusement en août, peut-être
à Rome, arrive en France en janvier 1539. Ses amis et son cousin
Calvin, alors âgé de 25 ans, furent effondrés :
ce "Fidèle serviteur de l'Eglise chrétienne, de
bonne et heureuse mémoire" selon les mots de Calvin,
venait de rejoindre le Seigneur, à l'âge de 32 ans seulement,
pour se reposer de son uvre.
|
a
piété d'Olivétan contenue
dans sa belle préface à la Sainte Bible
Voici quelques passages
de la préface qu'Olivétan écrivit pour la Bible
de 1535. Il clame son amour pour la "pauvre" église
de France :
"Jésus,
voulant faire fête à celle-ci de ce que tant elle désire
et souhaite, m'a donné cette charge et commission de tirer
et déployer icelui thrésor hors des armoires et coffres
hébraïques et grecs, pour après l'avoir entassé
et empaqueté en bougettes (boîtes) françaises
le plus convenablement que je pourrai, en faire un présent
à toi, Ô pauvre église, à qui rien l'on
ne présente. Vraiment cette parole t'est proprement due,
en tant qu'elle contient tout ton patrimoine, à savoir cette
parole par laquelle, par la foi et assurance que tu as en icelle,
en pauvreté, tu te réputes très riche ; en
malheureté, bienheureuse ; en solitude, bien accompagnée
; en doute, acertainée ; en périls, assurée
; en tourments, allegée ; en reproches, honorée ;
en adversités, prospère ; en maladie, saine ; en mort,
vivifiée. Tu accepteras donc, Ô pauvrette petite église,
cestuy présent, d'aussi joyeuse affection que de bon coeur
il t'est envoyé et dédié... Christ ne s'est-il
pas donné à telle manière de gens abjects,
petits et humbles ; ne leur a-t-il pas familièrement déclaré
les grands secrets du royaume qu'il proteste leur appartenir ? C'est
sa petite bande invincible, sa petite armée victorieuse,
à laquelle, comme un vrai chef de guerre, il donne courage
et hardiesse par sa présence, et chasse toute frayeur et
crainte par sa vive et vigoureuse Parole..."
|
uelques
réflexions sur
la valeur de cette traduction
Une traduction n'est
jamais anodine. Bernard Roussel a montré que Olivétan
a travaillé sur une bible rabbinique. Olivétan joua sur
3 registres pour faire passer certaines de ses préoccupations
théologiques : d'une part, il a fait des mentions marginales.
L'apparat critique de la Bible de 1535 est l'un des plus riches de l'époque.
Certaines notes en effet indiquent expréssement certaines idées
réformées comme l'injonction de ne pas participer aux
cérémonies de l'Eglise Romaine. Le deuxième registre
est fourni par l'index de l'ouvrage qui précise le sens doctrinale
de certaines expressions. Par exemple, Olivétan précise
que "libre-arbitre" n'est pas une expression biblique, mais
il oublie de préciser que "serf-arbitre" (qu'il utilise)
n'est pas biblique elle non plus. Enfin, sur un troisième registre,
celle de la traduction, Olivétan a fait des choix. Quand un mot
hébreu avait plusieurs traductions possibles, le choix qu'il
fait est doctrinal, pour se démarquer de la tradition catholique
: ainsi, Olivétan choisit de remplacer le mot b'évêque"
par le mot "surveillans", "apôtres" par "ambassadeurs,
"calice" par "coupe" ou encore le mot "prêtre"
par le mot "sacrificateur" ou "ministre". De nos
jours encore, toutes les versions protestantes ont gardé le mot
"sacrificateur". Or, nous pouvons comparer avec les anglais
qui traduisirent la Bible King James 80 ans plus tard : ils ont préféré
garder le mot "prêtre".
Pour conclure cette
petite analyse critique du travail d'Olivétan, voici ce que dit
B. Roussel : " Cette traduction contribue à peser sur le
groupe vaudois pour les faire adhérer à la réforme
suisse".
En dehors de ces
considérations doctrinales, la traduction d'Olivétan n'était
pas parfaite. Lui-même le savait bien. Mais il avait travaillé
dans des conditions difficiles et avec une rapidité incroyable
parce que l'enjeu était de taille : la Réforme était
commencée depuis 5 ans à Neuchâtel et il n'y avait
toujours pas de Bible en français !
De
1535 à 1538, Olivétan apporta de nombreuses corrections,
surtout pour le Nouveau Testament.
Les spécialistes du XIXe siècle ont jugé que sa
traduction de l'Ancien Testament était un chef d'oeuvre, car
il maîtrisait bien mieux l'hébreu que le grec. (sur
l'illustration : le début du livre des Nombres dans la Bible
d'Olivétan. On remarquera que la fin du livre du Lévitique
finit avec une typograpgie élégante en cul-de-lampe. Les
caractères sont encore gothiques, hérités de la
tradition manuscrite médiévale.)
Une édition
révisée du Nouveau Testament fut publié en 1538
par Olivétan mais la mort le prit la même année.
Qui allait réussir à améliorer son oeuvre ?
Son cousin Calvin
trouvait que la traduction d'Olivétan était "rude
et aucunement éloignée de la façon commune et reçue".
Il publia en 1560 une nouvelle Bible d'Olivétan après
en avoir dirigé les travaux de révision. Mais il émit
un voeu :
" Mon désir
serait que quelqu'un ayant bon loisir et étant garni de tout
ce qui est requis à une telle oeuvre, y voulût employer
une demi-douzaine d'ans, et puis communiquer ce qu'il a fait à
gens entendus et experts, tellement qu'il fût bien revu de
plusieurs yeux".
Malheureusement,
il ne se trouva personne pour entreprendre ce profond travail de révision.
100 ans plus tard, le grand pasteur protestant Claude commença
ce travail avec un grand savant catholique Richard Simon, mais la révocation
de l'Edit de Nantes interrompit les travaux. Louis XIV venait de proscrire
le protestantisme de France et les huguenots commencèrent à
fuir la persécution des dragonnades.
|
'influence
que la Bible d'Olivétan exerça sur les autres traductions
Dès la parution
de 1535, la Bible d'Olivétan était tellement réussie
pour l'époque qu'elle provoqua un petit raz-de-marée !
En 1562, la Bible
de Genève était publiée en anglais par des exilés
britanniques qui avait utilisé comme modèle la Bible d'Olivétan.
Le hollandais Hackius se basa aussi sur Olivétan pour réviser
la Bible de Hollande.
Pendant près
de 250 ans, toutes les éditions protestantes de la Bible en français
ont été basées sur le travail d'Olivétan.
C'est seulement à la fin du XVIIe siècle que le Synode
des Eglises Wallonnes confia au pasteur David Martin la tâche
de remettre en français courant la Bible d'Olivétan devenue
presque illisible pour un lecteur contemporain.
Et voici comment
la Boucle est bouclée ! Avec la Bible de David Martin, présentée
en détails, disponible encore aujourd'hui pour le lecteur
attentif du XXIe siècle, la Bible française a gardé
le même esprit de piété, de ferveur et d'honnêteté
qui, de Pierre-Robert Olivétan, à David Martin, en passant
par Calvin et Claude, a animé les fidèles serviteurs de
Dieu au service de la Parole de Jésus-Christ.
On peut se la procurer
facilement et ainsi lire la Parole de Dieu en français avec une
assurance de rigueur et d'intégrité. (Toutes
les infos sur www.biblemartin.com).
|
Note bibliographique : Sur l'histoire de la Bible en France, on trouvera
beaucoup plus d'informations dans le très bon livre de Daniel
Lortsch, Histoire de la Bible française, St Légier,
P.E.R.L.E., Librairie-éditions Emmaüs, première édition
1910, rééditée et mise à jour en 1984, en
vente par correspondance sur Internet. C'est ce livre qui a servi de
base à cet article de Bibliorama. On lira aussi avec intérêt
le livre de Gabriel Audisio "Les vaudois : histoire d'une dissidence",
Fayard, 1989, qui consacre un chapitre à Olivétan et à
la traduction de 1535.
|