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LA BIBLE ET L'HISTOIRE

Siegfried J. Schwantes

Socrate prétendait que l’histoire est cyclique. Les prophètes bibliques proclament que l’histoire est linéaire, conduisant à un but déterminé par Dieu.

L’histoire n’est autre « qu’une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, n’ayant aucune signification ». Ainsi dit Shakespeare. C’est dans l’histoire que nous pouvons contempler « au-dessus, derrière et à travers tout le jeu des intérêts, du pouvoir et des passions des hommes l’action de celui qui, dans sa souveraine miséricorde, accomplit silencieusement et avec patience les desseins de sa volonté1 ». Ainsi dit Ellen White, voyant un dessein et un but divins supervisant l’histoire.

Entre la philosophie grecque et la prophétie biblique, entre l’humanisme et la révélation, il y a une dichotomie concernant ce qu’est l’histoire. En tant que chrétiens, il est absolument nécessaire que nous soyons complètement informés sur la compréhension biblique de l’histoire. La Bible affirme que Dieu dirige les affaires des individus et des nations. La souveraineté divine dans l’histoire est vraiment une vérité biblique profondément enracinée. Moïse a déclaré : « Quand le Très-Haut donna un héritage aux nations, quand il sépara les enfants des hommes, il fixa les limites des peuples d’après le nombre des enfants d’Israël. » (Deutéronome 32.8) Esaïe parla de Cyrus comme étant celui que Dieu a choisi pour délivrer Israël de la captivité babylonienne (Esaïe 45.1). Daniel mit en évidence que Dieu « change les temps et les circonstances, renverse et établit les rois » (Daniel 2.21). L’apôtre Paul croyait que Jésus viendrait à un moment de l’histoire déterminé par Dieu (Galates 4.4). Il avança de plus que le but principal de l’existence individuelle et nationale sur cette terre est religieux : « Il a fait que toutes les nations humaines issues d’un seul homme habitent sur toute la surface de la terre ; il a déterminé les temps fixés pour eux et les bornes de leur demeure, afin qu’ils cherchent Dieu pour le trouver si possible, en tâtonnant. » (Actes 17.26, 27)

Dieu et les nations

Est-ce que Dieu a donné à chaque nation un « temps de grâce », une opportunité de le chercher et de le trouver ? Le commentaire d’Ellen White sur le discours de Paul dans Actes 17 ne laisse aucun doute : « Il a été concédé une place à toute nation qui a fait son apparition sur la scène de ce monde, afin qu’on puisse voir si elle accomplirait la volonté du “Veillant et du Saint”. La prophétie a annoncé l’avènement et la chute des grands empires : babylonien, médo-persan, grec et romain. Pour chacun d’eux, comme pour ceux de moindre importance, l’histoire s’est répétée. Tous ont eu leur période d’épreuve, et tous ont failli à leur tâche : leur gloire s’en est allée, leur autorité s’est évanouie, et ils ont fait place à d’autres2. »

Considérez Babylone. Ses spéculations religieuses la plongèrent dans un bourbier de superstition et d’obscurantisme de plus en plus profond. Babylone aurait pu connaître Dieu. En effet, l’Eternel la plaça en contact avec son peuple pendant la captivité de celui-ci. Mais Babylone ne sut voir l’œuvre de Dieu dans l’histoire.

Même cas de figure pour l’Egypte. En dépit d’une lueur prometteuse du temps d’Akhenaton, lorsque la quête de vérité du peuple l’amena à l’idée de divinité suprême, un polythéisme puissant retint l’Egypte captive. Les puissants prêtres d’Amon, à Thèbes, écrasèrent les aspirations religieuses naissantes de l’ère d’Amarna. A la mort d’Akhenaton, la cour retourna à Thèbes et ses idées religieuses profondes ne portèrent aucun fruit.

D’un autre côté, l’histoire montre que les périodes assignées par Dieu ne furent pas complètement sans fruit. En Perse, au viie siècle avant J.-C., Zoroastre se distingua par une pénétration remarquable de la vérité religieuse. Il remplaça les prétentions contradictoires du polythéisme persan par la croyance en Ahura Mazdâ, le dieu de la vérité et de la lumière. Le zoroastrisme reconnut l’existence d’une lutte prolongée dans laquelle les forces du bien l’emporteraient finalement, au jugement dernier

Dans la faiblesse d’une telle lumière et dans la clarté de la révélation biblique, le rôle de Dieu dans l’histoire est clairement reconnu. Ellen White, en harmonie parfaite avec les auteurs bibliques, soutient l’idée d’une Providence divine dans l’histoire : « Il semble, à lire les annales de l’histoire humaine, que l’avènement et la chute des empires dépendent de la volonté et des exploits des hommes. La tournure des événements paraît se modifier au gré de leur puissance, de leur ambition ou de leur caprice. Mais la Parole de Dieu soulève le voile, et nous contemplons au-dessus, derrière et à travers tout le jeu des intérêts, du pouvoir et des passions des hommes l’action de celui qui, dans sa souveraine miséricorde, accomplit silencieusement et avec patience les desseins de sa volonté. La Bible révèle la véritable philosophie de l’histoire3. »

L’histoire dévoile l’œuvre de Dieu

Eusèbe (vers 260 - vers 340 après J.-C.), évêque de Césarée et premier historien de l’Eglise chrétienne, affirme que les fils brisés du passé de l’humanité peuvent être tissés en un ensemble harmonieux si l’histoire est envisagée comme une préparation à l’Evangile. C’est seulement ainsi que les absurdités de l’histoire, avec tous ses malheurs et ses espoirs non réalisés, peuvent être interprétées comme lourdes de signification dans le plan divin. Eusèbe, tirant sa principale inspiration de Paul, reconnaît une trame intelligible dans l’histoire. Pour lui l’histoire n’avance pas au hasard mais vers le but que Dieu a choisi.

Cela ne veut pas dire que l’histoire prouve le rôle de Dieu dans les affaires humaines. Mais l’histoire, dans sa marche vers un but divin, révèle Dieu au regard de la foi, exactement comme la nature dans toute sa beauté et sa douleur révèle Dieu pour celui qui croit. Il y a suffisamment de preuve de l’autorité suprême de Dieu dans l’histoire pour soutenir la foi, mais pas assez pour la contraindre. Ainsi l’histoire a un sens pour le croyant, tout en restant une obscure énigme pour l’incroyant.

La vérité de la Providence divine, guidant la marche des événements vers un but eschatologique, est mieux discernée lorsqu’on perçoit la multiplicité de facteurs comme contribuant à l’accomplissement du but divin dans l’histoire. Ainsi l’apôtre Paul parle de l’accomplissement des temps comme étant le moment critique où « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi » (Galates 4.4). Le point culminant de l’histoire de la rédemption ne pouvait être atteint avant que les conditions préalables ne soient remplies. L’apôtre avait peut-être à l’esprit l’accomplissement d’une prophétie datée comme celle de Daniel 9.24-27. Mais l’accomplissement des temps englobe certainement plus que cela. Une série de courants historiques préparait le chemin à la venue du Messie : l’unification de l’ancien monde qui suivit les victoires rapides d’Alexandre (336-323 avant J.-C.) ; la diffusion de la langue et des idées grecques jusqu’aux frontières de l’Inde ; une langue et une culture communes créant un « village global » ; et l’augmentation de la méchanceté de la nature humaine appelant à une délivrance.4

Lorsque l’Empire romain absorba le monde de langue grecque, les talents romains de jurisprudence et d’administration territoriale imposèrent l’ordre et la sécurité à l’intérieur des frontières. Le régime romain ouvrit aussi les grandes artères de commerce et construisit un réseau de routes. L’élimination de fait de la piraterie rendit bien plus sûre la navigation sur la Méditerranée.

Un autre facteur de l’accomplissement des temps qui facilita la dissémination de l’Evangile fut l’ubiquité de la diaspora juive. On trouvait des marchands et des synagogues juifs dans la plupart des villes importantes de l’Empire romain. Les synagogues attirèrent de nombreux citoyens craignant Dieu, impressionnés par la foi monothéiste des Juifs et par leurs hautes valeurs morales qui contrastaient avec celles des païens. Ces prosélytes, déjà familiers avec les enseignements de l’Ancien Testament, furent bien plus facilement persuadés d’embrasser le message chrétien, comme le montre le livre des Actes.

Qu’un facteur historique puisse favoriser l’avance du royaume de Dieu sur la terre, cela n’a pas une grande force persuasive en soi. Mais lorsque plusieurs facteurs, tels ceux cités ci-dessus, convergent vers la même direction, le scepticisme semble injustifié.

La Réforme dans la Providence divine

Un autre événement important ayant des conséquences bouleversantes pour l’histoire religieuse fut la Réforme protestante du xvie siècle. Elle aussi portait les signes de l’intervention divine dans la marche de l’histoire. Les tendances antérieures convergeaient pour faire de cette révolution un succès, succès difficile à imaginer aux siècles précédents. Cinq de ces tendances peuvent facilement être identifiées :

1. Le système féodal perdait de son emprise sur la vie économique de l’Europe de l’Ouest. Les villes devenant prospères et prenant de plus en plus d’importance dans la vie politique, et l’agriculture perdant de son importance, le système féodal déclina progressivement et les individus jouirent d’une plus grande liberté pour déterminer leur destinée à la fois politique et religieuse.

2. Les monarques gouvernant la France, l’Angleterre et l’Espagne prirent le dessus sur les seigneurs féodaux et l’Eglise. Le mécontentement monta concernant l’interférence de l’Eglise dans les affaires de l’Etat. L’Etat ressentait de plus en plus l’épuisement des ressources de la curie papale et y résistait proportionnellement.

3. Les conciles prétendus réformateurs de Constance (1414-1418) et de Bâle (1431-1449) échouèrent dans leur tentative de réforme d’une papauté récalcitrante. Les prétentions contradictoires de légitimité, avancées par différents prétendants au trône papal (il y eut à une certaine époque trois papes rivaux), ne contribuèrent pas peu à la perte du prestige papal. L’autorité imposante d’un pape comme Innocent III appartenait au passé.

4. La Renaissance, d’abord en Italie et plus tard à travers l’Europe de l’Ouest, avec son admiration des richesses des civilisations grecque et romaine, et son slogan du « retour aux sources », encourageait aussi l’étude des sources chrétiennes. Plus que jamais la Bible et les écrits des Pères de l’Eglise étaient étudiés et montraient l’écart frappant existant entre la religion biblique et les distorsions qu’elle subit au Moyen Age. Des écrivains comme Erasme insistaient pour une réforme de la « tête et des membres » de l’Eglise.

5. L’invention de l’imprimerie par Gutenberg (vers 1450) augmenta la circulation des livres, de la Bible en particulier, parmi la classe moyenne. Avant Gutenberg, par exemple, il n’existait que quatre-vingt-douze éditions de la Vulgate. Mais la presse de Gutenberg à caractères mobiles permit de disséminer rapidement les quatre-vingt-quinze thèses de Luther dans toute l’Europe de l’Ouest.

La convergence de ces courants et d’autres similaires préparait le succès de la Réforme protestante. Cela ne suggère-t-il pas la main directrice de la Providence divine dans les affaires des nations, tout en permettant les décisions individuelles ? Une telle compréhension, plus que toute autre, attire l’attention de l’étudiant impartial de l’histoire. La révélation des événements peut sembler lente à l’étudiant négligent, mais « semblables aux étoiles parcourant, en vastes orbites, la voie qui leur a été tracée, les desseins de Dieu ne connaissent ni hâte ni retard5 ».

L’histoire demeure tragique car la séparation humaine d’avec Dieu ne peut être vaincue par un ordre arbitraire divin. Certaines tragédies épouvantables, telles que des tyrannies monstrueuses ou des génocides, ne seront jamais complètement comprises par les hommes de ce côté de l’éternité. Bien que tragique, l’histoire, même l’histoire séculaire, fait partie d’un dessein général. Dieu donne aux êtres humains la liberté de choisir et d’agir, même contre sa volonté.

L’histoire, l’Eglise et la liberté

L’histoire n’est ni sans signification, ni faite de circonstances sans importance. Bien que la présence divine dans le processus historique soit entourée de mystère, il nous est révélé un aperçu suffisant des préoccupations de Dieu pour que la perspective biblique soit crédible. Aucune de ces suggestions n’est aussi significative que le plan rédempteur de Dieu à la croix. Plantée dans l’histoire, la croix du Christ révèle le dessein providentiel de toute l’histoire.

Les tragédies de l’histoire sont le résultat de la lutte humaine pour l’affirmation du moi. Elles ne doivent pas nous cacher l’évidence d’une Providence supérieure. Ainsi la mission de l’Eglise en tant que héraut de la réconciliation prend une signification particulière. Mais cette mission serait entravée si les hommes et les femmes n’étaient pas libres de leurs choix spirituels.

Aussi, chaque effort de progrès vers une plus grande liberté politique et religieuse devient une preuve de l’intention divine : créer le meilleur climat possible pour une décision chrétienne véritable. Dans le champ des décisions morales, l’histoire doit toujours nous entourer d’une mesure de liberté. Par ses directives providentielles, Dieu agit pour préserver et augmenter les domaines de liberté. Renverser cette tendance serait anéantir son but rédempteur.

Certains savants ont défendu une vision déterministe de l’histoire, comme si les événements se succédaient dans une chaîne de connexions de cause à effet, semblable à celle qui opère dans la nature. Mais, comme le dit Esaïe Berlin, « L’évidence d’un déterminisme minutieux n’est pas pour demain6. » Si elle l’était, les lois des causes dans l’histoire auraient été découvertes depuis longtemps.

La perspective biblique de l’histoire rejette le déterminisme car il attaque la responsabilité personnelle, essentielle à la compréhension biblique de l’homme en tant qu’agent moral libre. Elle rejette aussi la vision d’une histoire complètement indéterminée, ne présentant aucun modèle reconnaissable. La vue la plus proche de la perspective biblique est que l’histoire reflète, quoique faiblement, le dessein éternel de Dieu.

L’histoire et le dessein éternel de Dieu

Une simple illustration peut aider à comprendre comment la liberté humaine et la direction souveraine de Dieu peuvent coexister. Imaginez les passagers d’un navire prêt à lever l’ancre pour une destination que seul le capitaine connaît. Il contrôle le trajet du navire. Il connaît le port de destination et le meilleur itinéraire pour y arriver. A bord, les passagers sont libres d’agir et de se déplacer à volonté. Chacun jouit de suffisamment d’espace vital. Le contrôle de la destination du navire par le capitaine ne s’oppose pas à la liberté relative des passagers. Ainsi le bateau de l’histoire avance sous la direction divine, tandis que chaque être humain a suffisamment de liberté pour faire ses propres choix. La Providence a plusieurs possibilités pour diriger la succession des événements selon le plan divin. Il faut convenir que cette supervision divine est suffisamment discrète pour ne pas contrecarrer la liberté humaine d’un côté, et pour ne pas supprimer la nécessité humaine de marcher par la foi, de l’autre. Bien qu’elle ne soit jamais importune, la Providence divine est aussi pénétrante que l’air que nous respirons.

Il y a bien sûr des historiens qui ne s’engagent ni dans la perspective déterministe de l’histoire, ni dans la perspective providentielle. Lorsqu’ils sont confrontés au dénouement imprévu d’une action troublante, ils n’ont pas d’autre recours que de faire appel à « un concours de circonstances fortuites ». Mais l’introduction, par un historien, de la chance ou d’un accident comme principe explicatif d’un événement est l’aveu d’une incompétence à en connaître la cause réelle.

Les spéculations de l’histoire avec des « si » sont stériles, si ce n’est pour en faire ressortir l’élément d’éventualité. Parfois les événements peuvent sembler sans importance. S’il n’avait pas plu le matin de la bataille de Waterloo, l’artillerie de Napoléon aurait pu manœuvrer à son avantage et la défaite aurait été changée en victoire. Le chrétien remplace la « bonne chance » ou « l’accident » par la « Providence » et affirme que la Providence divine œuvre pour susciter les alternatives appropriées pour produire le meilleur résultat en harmonie avec le plan divin.

Harry Harbinson, anciennement professeur d’histoire à Princeton University, résume bien la vue du chrétien : « Où les matérialistes ne voient qu’un simple processus aveugle, où les rationalistes peuvent voir un progrès évident, il verra la Providence, une provision divine à la fois dans les décisions conscientes et dans les résultats involontaires de l’histoire, un propos partiellement révélé et partiellement voilé, une destinée qui est religieuse au sens le plus profond du terme, dans laquelle la liberté humaine et la direction divine se complètent l’une l’autre de façon mystérieuse7. »

Siegfried J. Schwantes (Ph.D., Johns Hopkins University), né au Brésil, a enseigné l’histoire de l’Eglise dans de nombreuses institutions éducatives et est l’auteur de The Biblical Meaning of History (Mountain View, Calif. : Pacific Press Publ. Assn., 1970). Son adresse : 1013 Meadowhill Rd. ; Silver Spring, Maryland 20901-1527 ; U.S.A.

Notes et références

1. Ellen G. White, Education (Dammarie-les-Lys, France : Editions S.D.T., 1954), p. 175.

2. Id., p. 179.

3. Id., p. 175, 176.

4. Voir Ellen G. White, Jésus-Christ (Dammarie-les-Lys, France : Editions S.D.T., 1975), p. 23-27.

5. Id., p. 23.

6. Isaiah Berlin, Historical Inevitability, cité dans S. J. Schwantes, The Biblical Meaning of History (Mountain View, Calif.: Pacific Press Publ. Assn., 1970), p. 32.

7. E. Harris Harbison, « The Marks of a Christian Historian », dans C. T. McIntire, éd., God, History, and Historians (New York : Oxford University Press, 1977), p. 354.








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