TU
ES PETRUS ET SUPER HANC PETRAM...
En
se rendant au Vatican, le visiteur peut lire en lettres d'or,
au fronton de l'Eglise Saint-Pierre, ces paroles : " Tu es
Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les
portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle
"
Ces
versets bibliques ont fait couler beaucoup d'encre depuis deux
mille ans puisque pour l'Eglise catholique "
il existe
une unique Église du Christ, qui subsiste dans l'Église
catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et les
Évêques en communion avec lui."
Le
Christ a-t-il confié à Pierre la direction suprême
de l'Eglise ? Dans les évangiles, lui donne-t-il un pouvoir
et une mission qu'il n'ait conférés également
aux autres apôtres ? Y a-t-il la moindre trace de l'intention
qu'aurait eue Jésus de créer une institution durable,
d'établir une direction suprême de l'Eglise et de
lui donner une forme monarchique ? Trouve-t-on dans l'histoire
de l'Eglise primitive, le moindre vestige d'une direction ainsi
organisée ?
Il
faut voir tout d'abord que Rome, à travers les siècles,
a changé. On peut suivre les doctrines de l'Eglise depuis
leur première éclosion jusqu'à leur complet
développement. Elle s'est éloignée à
un tel degré du christianisme apostolique que sur beaucoup
de points elle en a pris exactement le contre-pied comme l'affirme
un théologien catholique :
" L'Eglise ne peut rien ajouter à la Parole de Dieu...
Face à cette affirmation de la foi que l'Eglise a défendue
contre tous les pseudo-prophétismes..., un fait s'impose
: l'histoire de l'Eglise catholique manifeste des changements
qui semblent bien toucher à la Parole de Dieu elle-même.
Il ne s'agit pas seulement de changements secondaires, d'ordre
disciplinaire ou pastoral, il ne s'agit pas seulement de formulations
nouvelles du dépôt de la foi, mais bien d'affirmations
dogmatiques nouvelles...
L'Eglise est consciente de ce fait et elle n'en continue pas moins
à affirmer son identité propre avec la Parole de
Dieu. "
I.
La théorie du développement
Pour
expliquer ces changements, les plus habiles parmi les controversistes
catholiques modernes ont adopté la théorie du développement.
D'après cette théorie, les dogmes de l'Eglise auraient
existé à l'état de germes dans l'enseignement
apostolique ; ces germes se seraient progressivement développés
conformément à des lois providentielles, de telle
sorte qu'il y aurait eu progrès d'un siècle à
l'autre. Ainsi la doctrine de l'Eglise se serait enrichie sans
s'altérer.
Mais
il y a là deux contradictions réelles :
- en premier lieu, bien des enseignements et des pratiques de
Rome sont en opposition formelle avec la Bible ;
-
ensuite, ces enseignements et ces pratiques ont été
intégrés, à travers les âges, à
des influences issues de la culture païenne , ce qui revient
à dire, qu'il y eut non pas développement normal,
mais substitution.
Karl
Adam, théologien catholique, le reconnaît :
" Nous ne faisons aucune difficulté de le reconnaître,
nous y mettons même quelque fierté : le Catholicisme
ne se confond purement et simplement ni avec le message du Christ,
ni avec le christianisme primitif, pas plus que le chêne
de la forêt avec le gland qu'il a été d'abord.
Leur identité ne doit pas être cherchée dans
l'apparence extérieure, elle est organique. "
Un
des textes modernes, où la thèse papale de la primauté
est la mieux exposée, est la Bulle " Satis Cognitum
" de Léon XIII, du 29 juin 1896 qui fait le commentaire
suivant :
" Qui pourrait ignorer combien nombreux, combien clairs sont
sur ce point les témoignages des saints Pères ?
"
Si
véritablement les prétentions papales, comme l'affirment
les documents de l'Eglise catholique romaine, ont été
constantes dans le temps, nous devrions sans aucune difficulté
en trouver des traces depuis les origines.
II.
Les prétentions de l'Eglise romaine face aux témoignages
des Pères de l'Eglise.
Si
nous passons en revue les positions des Pères de l'Eglise
pour voir si réellement leur témoignage est clair
sur ce point, ce qui nous frappe tout d'abord, c'est la variété
de leurs interprétations. Un même Père donne
souvent plusieurs interprétations. Sur les 85 qui ont commenté
ce texte :
- 44 pensent que la pierre représente la foi de Pierre
; cette interprétation, la plus répandue, est celle
d'un certain nombre de Pères d'Orient, Cyrille d'Alexandrie,
Chrysostome, Grégoire de Nysse, par exemple, et de nombreux
Pères d'Occident, parmi lesquels Ambroise, Hilaire et saint
Augustin ;
- 16 que la pierre figure le Christ en personne ;
- 8, dont Origène, Cyprien, Jérôme, Saint
Augustin et Théodoret, que le roc est bâti sur tous
les apôtres, Pierre en étant le représentant
par sa confession ;
- et 17 seulement pensent que le roc représente la personne
de Pierre, entre autres Origène, Jérôme, Hilaire
, Cyrille de Jérusalem et Cyprien.
Laissons
maintenant parler les Pères de l'Eglise eux-mêmes
sur cette question :
- Justin Martyr, estimait pour sa part : " Le rocher sur
lequel le Seigneur a fondé son Eglise n'était pas
la personne de Pierre, mais bien la confession que l'apôtre
avait faite. "
-
Jérôme : " S'il est dit que l'Eglise est fondée
sur Pierre, cela est dit tout autant des autres apôtres.
Car cette pierre, c'était Christ. Aussi le Seigneur dit-il
à Simon : Toi tu es Petrus, et sur cette pierre-là,
je bâtirai mon église : qu'il avait fondée
sur une ferme roche, laquelle est Christ. "
-
Origène : " Quand, éclairé par le Père
céleste, nous faisons la profession de foi que Pierre a
faite, nous devenons la même chose que Pierre, c'est-à-dire
que nous sommes proclamés bienheureux, comme il l'a été.
Alors, nous sommes faits Pierre, et le Christ nous dit : Tu es
Pierre... attendu que tout disciple du Christ est une pierre.
Si vous vous imaginez que toute l'Eglise a été fondée
uniquement sur Pierre, que faites-vous de Jean et de chacun des
apôtres ? Est-ce à Pierre seul que les clefs du royaume
ont été données par le Seigneur ? "
Il
faut pourtant reconnaître que certains des textes cités
par le Vatican posent problème. En particulier, le célèbre
passage du livre de Cyprien sur l'unité de l'Eglise :
" La primauté a été accordée
à Pierre, afin de montrer l'unité de l'Eglise et
de la chaire. Comment celui qui abandonne la chaire de Pierre,
sur laquelle l'Eglise est fondée, peut-il se croire encore
dans l'Eglise ? "
Vers
la fin du VIe siècle, on entreprit à Rome une série
de falsifications dont le plein effet ne se fit sentir que beaucoup
plus tard. On fit des additions, conformes aux prétentions
romaines. En particulier, ce célèbre passage, dans
lequel Cyprien écrivait :
" Tous les apôtres ont reçu du Christ exactement
la même puissance et la même autorité que Pierre.
"
Ce texte était en contradiction trop éclatante avec
la théorie formulée depuis le pape Gélase
(492-496). Aussi ces mots furent-ils introduits au texte original
:
" La primauté a été accordée
à Pierre
"
La
lecture du passage extrait de sa vingt-septième lettre
lève les derniers doutes possibles sur l'interprétation
que Cyprien a donnée aux textes de l'Evangile relatifs
à Pierre :
" De là, à travers les vicissitudes des temps
et des successions, ont découlé : et l'ordination
des évêques, et la base (ratio) de l'Eglise, de telle
sorte que l'Eglise soit établie sur les évêques
et que tout acte de l'Eglise soit gouverné par les mêmes
préposés. "
Cela
nous amène à dire, comme l'a déclaré
le célèbre théologien catholique I. de Dllinger
:
" Or depuis Pie IV au XVIe siècle, le serment universellement
imposé au clergé (la professio fidei Tridentina)
contient l'obligation de ne jamais interpréter l'Ecriture
sainte autrement que d'après le consentement unanime des
Pères (par conséquent d'après les Docteurs
de l'Eglise des six premiers siècles), chaque évêque
et théologien viole donc le serment qu'il a prêté,
lorsqu'il conclut exégétiquement du passage en question
que le Christ a promis aux papes le privilège de l'infaillibilité
dogmatique. "
Le
grand évêque de Meaux, Bossuet, en 1688, défiait
les protestants de donner la preuve que la vérité
catholique ait jamais variée :
"
Que si par de telles preuves ils nous montrent la
moindre inconsistance ou la moindre variation dans les dogmes
de l'Eglise catholique depuis son origine jusqu'à nous,
c'est-à-dire depuis la fondation du Christianisme, je veux
bien avouer qu'ils ont raison, et moi-même j'effacerai toute
mon histoire. "
Telle
n'a pas été la foi constante de l'Eglise. Ce qui
manquera toujours à cette chaîne de papes, si longue
soit-elle, c'est le premier anneau, celui qui devrait la rattacher
aux premiers apôtres.
Ainsi nous avons là une double responsabilité :
la première, envers nos frères catholiques, à
savoir celle de lever le voile sur cette imposture ; et la seconde,
envers nous-mêmes, celle de ne jamais mettre nos propres
convictions et sentiments comme fondement dans notre recherche
de la Parole de Dieu.
Résumé
de l'ouvrage de Laurent THAEDER, Tu es Petrus et super hanc
petram... Lettre ouverte au Vatican en général et
à Joseph Ratzinger en particulier, 2001.
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