LES SILENCES DE PIE XII

 

" Le monde n'est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu'elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu'au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables... Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains. "

Hannah Arendt

LE SILENCE DU " PASTEUR ANGELIQUE "

 

" En 1920, le nonce Pacelli fut muté à Berlin. Pie XI le créa cardinal en 1929 et, un peu plus tard, en fit son Secrétaire d'État.
Six mois après l'avènement de Pie XII, le cataclysme se déchaînait. Le nouveau pape avait tenté, dès le 3 mai, de le conjurer. Son appel aux cinq puissances : - Allemagne, Italie, Angleterre, France, Pologne - à se retrouver autour d'une table de conférence ne fut pas entendu. Il faut dire que tous n'avaient pas apprécié certains de ses gestes, comme son télégramme de bénédiction au général Franco le 1er avril et son message de félicitations, le 16 avril, à la " partie saine du peuple espagnol qui défendait l'idéal de la Foi et de la civilisation chrétienne ". N'avait-il donc jamais entendu parler de Guernica ?
Dès le début des hostilités, Pie XII mit sur pied un comité d'aide aux victimes et un service d'informations au bénéfice des prisonniers, réfugiés et déportés. Le 24 août 1939, au lendemain du pacte germano-soviétique qui partageait la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS, il prononça un dernier appel en faveur de la paix. On en a surtout retenu la phrase que lui avait suggérée un certain Mgr. Montini - le futur Paul VI - : " Rien n'est perdu avec la paix. Tout peut l'être avec la guerre. "
Il est consternant que le jour de l'attaque de l'URSS par la Wehrmacht, la conférence épiscopale allemande ait envoyé un télégramme à Hitler pour le féliciter d'avoir entrepris cette " croisade " au bénéfice de l'Europe. Exprimait-elle l'approbation tacite du pape? La question est légitime.
Une autre qui ne l'est pas moins est celle qui concerne l'étonnant silence de la plus haute autorité chrétienne sur le plus affreux des massacres perpétrés contre le peuple juif. Les défenseurs inconditionnels de Pie XII feront remarquer qu'il ne s'est pas tu. Par deux fois, à la Noël de 1942 d'abord, le 2 juin 1943 ensuite, il en a parlé. C'est exact. II est exact aussi qu'une simple allusion à " ces centaines de milliers de victimes qui, sans faute de leur part, et même pour une partie d'entre eux, du seul fait de leur nationalité et de leur race, étaient livrés à une mort rapide ou lente " représentait une protestation bien timide. Les mêmes inconditionnels insisteraient : " Pie XII voulait éviter que ses paroles n'aggravent le mal. " Force est de concéder que les cris d'alarme murmurés avec cette prudence ne risquaient guère d'envoyer dans les camps de concentration quelques malheureux de plus. Mais tout aussi peu de sauver un seul enfant des fours crématoires !
Quand donc les chrétiens auront-ils le courage de reconnaître ouvertement que s'il fût une heure dans l'Histoire où le pasteur devait non seulement risquer, mais donner sa vie pour les brebis, c'était bien celle-là. Quand il fallait proférer des " paroles de feu ", Pie XII se satisfit des formules mesurées de diplomate. Jésus avait déjà brandi le fouet rien que pour chasser les marchands du Temple. Qu'eut-il fait pour disperser les tortionnaires de centaines de milliers d'innocents ?
Sans doute, nombre de personnalités juives trouvèrent-elles refuge au Vatican. C'était une hospitalité charitable mais qui exposait à peu de risques : l'État du pape était, tout comme la Suisse, un Etat autonome. Le Vatican, par contre, semble bien avoir facilité, après la guerre, l'exfiltration et la mise à l'abri en Amérique latine, par exemple, de plus d'un criminel nazi.
Pie XII n'eut pas envers le communisme la prudente réserve qui avait caractérisé ses réactions envers l'Allemagne. En 1949, il fit afficher dans les paroisses le décret d'excommunication de tous les marxistes et de tous ceux qui apporteraient une aide quelconque au parti communiste. Toute la suite de son pontificat constitua en définitive une croisade contre les marxistes. Elle était d'ailleurs justifiée par la violence des persécutions communistes dans tous les pays de l'Est. Les Mindszenti, Stepinac, Beran, Wyzinsky symbolisèrent la résistance de cette " Église du silence " à cette immense entreprise de déchristianisation radicale qui se solderait dans les années quatre-vingt-dix par la faillite spectaculaire de tous les régimes communistes y compris celui de l'URSS, que son Secrétaire Général, Gorbatchev, saborderait le 24 août 1991. "

Jean Mathieu-Rosay, La Véritable histoire des Papes, 1991, p. 318-319.

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