Hitler,
contrarié dans ses projets d'invasion de l'URSS (plan Barbarossa),
par les revers qu'infligea l'armée grecque aux troupes
italiennes, dut se résoudre à intervenir dans les
Balkans. Le 6 avril 1941, sans déclaration de guerre, les
troupes allemandes déferlèrent sur le pays par l'Autriche,
la Hongrie et la Bulgarie, en direction de Zagreb et de la Macédoine.
L'armée yougoslave, totalement surprise, déposa
les armes. Aussitôt, le 10 avril, la Croatie proclama son
indépendance à Agram. Le nouveau gouvernement fut
constitué par Ante Pavelic1, le chef de l'oustacha, qui
pour l'occasion, rentra d'exil avec l'aide des Allemands.
Dès la mise en place du nouveau pouvoir, Mgr Stepinac (l'archevêque
de Zagreb), se présenta au chef des oustachis pour lui
exprimer le dévouement du clergé catholique. Dans
une lettre pastorale datée du 28 avril 1941, il remerciera
le ciel pour la création de 1' " Etat indépendant
de Croatie ", et demandera au clergé de faire chanter
le Te Deum dans toutes les églises pour la prospérité
de cet Etat. Le 18 mai 1941, le nouvel homme fort de la Croatie
sera reçu en audience privée par le pape Pie XII.
L'été 1941 sera marqué par les atrocités
commises par les lieutenants de Pavelic, à l'encontre des
Serbes (orthodoxes) et des juifs : leurs bandes armées
brûlèrent des villages entiers, laissant derrière
elles des forêts de potences et d'épouvantables charniers
remplis de corps affreusement mutilés. Les fidèles
oustachis allèrent jusqu'à offrir à leur
chef le plus abominable présent qu'ait jamais reçu
un homme : un panier d'osier contenant vingt kilos d'yeux humains.
Cette vague de cruauté sera accompagnée d'une campagne
de conversion forcée au catholicisme. Une des pratiques
favorites de Pavelic était celle-ci : il donnait l'ordre
à ses hommes d'arrêter les enfants dans la rue pour
leur demander : " Faites le signe de la croix. " Si
l'enfant se signait sur l'épaule gauche, pas de problèmes
: c'était un catholique et ils le laissaient aller. Si
par contre il commençait le signe de la croix par la droite
cela signifiait qu'il était Serbe et orthodoxe. Pour cet
enfant c'était fini... Comme le soulignera l'historien
allemand, Ernst Nolte : " La Croatie se transforma pendant
la guerre en un vaste baptistère, et simultanément
en un gigantesque abattoir. "
Ces massacres n'entameront en rien le loyalisme de Mgr Stepinac
au régime des oustachis. N'écrira-t-il pas dans
le journal de l'évêché (Glanik Biskupije Bosanske
i Srijemske) : " L'année sainte est l'année
de la résurrection de la liberté, l'année
de la résurrection de l'Etat indépendant de la Croatie.
Au milieu de l'arc-en-ciel est apparue la figure héroïque
de Pavelic. En sa personne sont représentés treize
siècles de religion et de fidélité, de courage
et d'héroïsme, de raison et de dignité, d'honnêteté
et de caractère du peuple croate. "
Le 23 février 1942, l'archevêque de Zagreb officiera
lui-même dans l'Église Saint-Marc, à l'occasion
de l'ouverture du parlement oustachi - parlement qui avait voté
toutes les lois raciales et couvert de son autorité le
massacre de 600 000 Serbes et juifs dans le pays. En outre il
acceptera les fonctions de vicaire général des unités
armées de Pavelic ; accordant sa bénédiction
à ces unités pour leur lutte contre les partisans,
il présidera, avec plusieurs autres membres de l'épiscopat,
le comité pour la conversion des orthodoxes au catholicisme.
Le 18 mai 1943, dans une lettre2 adressée au pape, Mgr
Stepinac écrira : " Le jeune Etat croate montre qu'il
veut demeurer fidèle en toutes circonstances à ses
splendides traditions catholiques et assurer des perspectives
meilleures et plus claires à l'Église catholique
dans cet endroit du globe terrestre... "
Après quatre années de luttes acharnées,
les "partisans" de Tito repoussèrent la Wehrmacht
hors de la Yougoslavie. Ante Pavelic comprenant que la victoire
avait changé de camp, décida de s'enfuir vers l'Autriche.
Arrivé sans encombre dans une ferme située près
de Salzbourg, il se mettra en contact avec des amis qu'il avait
au Vatican. Ceux-ci organisèrent sa fuite. Déguisé,
muni d'un faux passeport, Pavelic put passer en Italie quelques
semaines plus tard. Là, trois prêtres croates, Bilobrik,
Draganovic et Dominik Mandic avaient tout préparé
pour lui. L'ancien chef de l'État croate recevra l'hospitalité
de couvent en couvent. L'odyssée de Pavelic prendra fin,
lorsque en 1948 il s'embarquera pour l'Argentine, déguisé
en prêtre.
Mgr Stepinac aura moins de chance, car il sera arrêté
par les soldats de Tito. Le 11 octobre 1946, le tribunal populaire
de Zagreb le condamnera à seize années de travaux
forcés et à la perte de ses droits politiques et
civiques pendant les cinq années suivantes.
Après l'effondrement du IIIe Reich, le clergé croate
avec le soutien du Vatican permettra à de nombreux oustachis
de quitter la Yougoslavie via l'Europe occidentale ou l'Amérique
du Sud. C'est à partir de Fiume qu'avait été
organisé le principal passage vers l'Italie. Là
on y délivrait des faux papiers d'identité qui provenaient
de l'évêché catholique de Trieste.
La plupart de ces criminels de guerre trouveront refuge dans la
cité pontificale. A plusieurs reprises le nouveau gouvernement
de Yougoslavie protestera contre la manière dont le Vatican
aide d'anciens oustachis à émigrer d'Italie vers
l'Amérique du Sud. Il accusera, ainsi, la "Commission
di Assistenza pontefico"3 de procurer de faux papiers d'identité
et de faciliter les autorisations d'immigration dans divers pays
d'Amérique du Sud, par voie diplomatique. Devant le silence
du Vatican aux demandes d'extraditions des oustachis, le gouvernement
de Tito fera appel aux Anglo-Américains. Le gouvernement
britannique, par voie officielle, lui fera savoir que l'extradition
des criminels de guerre ne pouvait être accordée,
les personnes visées étant réfugiées
dans la Cité du Vatican.
Puisse la reconnaissance empressée de la Croatie actuelle
par Jean-Paul II faire un jour la lumière sur cette terrible
période de l'Histoire.
L.T.
Repris
avec l'aimable autorisation de Golias.
Golias n° 29 - printemps 1992, p. 243-244.
1)
Ante Pavelic était né en 1889 en Herzégovine.
Député de Zagreb, il prendra la tête en 1929
du mouvement nationaliste des oustachis conte la politique centralisatrice
de la Serbie. Exilé à l'étranger il organisera
l'assassinat du roi Alexandre Ier à Marseille (1934).
2) Dans le même contexte l'historien Xavier de Montclos
pose la question de la véracité de ce document (voir
son livre Les chrétiens face au nazisme et au stalinisme).
3) Plus tard on apprendra que le principal collaborateur de la
"Commission di Assistenza" était un prêtre
oustachi, le père Krunoslav Draganovic, lequel avait installé
une officine à l'institut Saint-Jérôme, à
Rome...
Bibliographie
o Gli Americani in Italia, Marco Fini et Roberto Faenza,
éd. Feltrinelli,1976.
o L'orchestre noir, Frédéric Laurent, éd.
Stock,1978.
o Les criminels de guerre, éd.Denoël,1974.
o Le quatrième Reich, Ladislas Farago, éd.
Belfond,1975.
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