OR NAZI : LA VERITE
HISTORIQUE RECLAME SA PART
À
Londres les débats, souvent très vifs, sans avoir
ni retracé le chemin de l'or nazi, ni résolu les
problèmes de sa redistribution, a sans doute fait progresser
le droit des victimes et entamé bien des certitudes idéologiques.
Les documentalistes des archives américaines vivent un
stress permanent depuis des mois, qui en pousse certains vers
la dépression. C'est à une véritable bataille,
une course à l'information, que se livrent les chercheurs
du Congrès Juif Mondial (CJM), de la commission Bergier
(groupe d'experts indépendants commis par le gouvernement
suisse et dont l'historien Jean-François Bergier assure
la coordination) et les experts de l'Association des Banques suisse.
Chaque groupe essaye de savoir sur quels documents les autres
travaillent, où ils en sont, quelles pistes ils suivent.
Les documentalistes sont soumis à une pression jamais ressentie,
qui témoigne de l'importance de l'enjeu.
Le voile de la mémoire reconstruite se déchire,
l'éclat de l'or apparaît, le spectre de l'horreur
ressurgit, toujours plus présent, l'honneur des nations
se couvre d'une sale gangue de mensonges; de petits arrangements
avec la morale, avec la mort des autres, se font jour.
Les délégations de 41 pays, qui se sont réunies
du 2 au 4 décembre pour essayer de retracer le chemin de
l'or pillé par l'Allemagne nazie dans les pays occupés,
ont dû arpenter bien d'autres voies.
La mécanique nazie était simple. Dès janvier
1939, le président du directoire de la Reichbank prévenait
Hitler: "Il n'y a plus de réserves, ni de devises
à la Reichbank. Les réserves constituées
par l'annexion de l'Autriche sont épuisées et les
finances du IIIème Reich au bord de l'effondrement".
Lorsque l'Allemagne se lance à l'assaut de la Pologne,
de la Tchécoslovaquie, de la Belgique, de la France, les
Devisenschutzkomandos (commandos de protection des devises) pillent
les banques centrales, les caisses d'épargnes, des banques
privées, des joailleries, saisissent les biens des particuliers.
Le nerf de la guerre se trouve là.
La Belgique, qui avait confié ses réserves d'or
à la France avant l'occupation nazie, se fait tout de même
voler l'équivalent actuel de 26 milliards 784 millions
de FB et de 2 milliards 700 millions de FB en devises. Au Pays-Bas,
le "commando de protection des devises" met la main
sur 100 tonnes d'or puisées dans les coffres de la Banque
nationale. L'or des Belges, qui a rejoint en France l'or des Luxembourgeois,
des Norvégiens, des Lettons, des Lituaniens, des Tchèques,
sera l'enjeu d'une extraordinaire course poursuite.
L'itinéraire de l'or belge
Le gouvernement de Vichy se met aussitôt au service du Reich
et tente de retrouver cet or, qu'il croit en France. En fait,
le 18 juin 40, une escadre a levé l'ancre pour emporter
ces 288 tonnes d'or à destination du continent africain,
au Sénégal. Des bateaux anglais auraient dû
convoyer l'or aux États-Unis, mais ils n'étaient
pas au rendez-vous. Après un invraisemblable périple
à travers toute l'Afrique, cet or arrive à Berlin
le 26 mai 1942.
En septembre 1946, une commission tripartite (France, Grande-Bretagne,
États-Unis) est mise en place, afin d'étudier les
demandes de restitution de l'or monétaire des différents
gouvernements. Jusqu'à ce jour, 337 tonnes d'or ont été
restituées aux États, soit 98% de l'or récupéré.
On comptait qu'un tiers de l'or nazi avait disparu.
En mai 1996, sort aux Etats-Unis le rapport Eizenstat, qui pose
la question de la responsabilité de la Suisse dans l'affaire
de l'or nazi. Pour le secrétaire d'État américain
au Commerce, une partie de l'or redistribué n'est pas monétaire,
mais a été arraché aux victimes de la Shoah.
Lundi 1er décembre, la commission Bergier confirmait le
rôle central de la Suisse, qui a permis à la Reichbank
de réaliser 76% des transactions sur l'or pendant la guerre.
Les experts notaient que les banques privées helvètes
avaient acquis jusqu'en 1945 pour 61,2 millions de dollars actuels
d'or auprès de la Reichbank, soit trois fois plus que ce
que révélaient les estimations antérieures.
Ce chiffre peut paraître modeste au regard des 4 milliards
de dollars d'or achetés à l'Allemagne nazie par
la Banque Nationale Suisse.
Souhaitant apaiser l'orage médiatique qui s'abattait sur
elle, la Banque Nationale Suisse, au vu des chiffres, vérifiés,
du volume des transactions, a versé 100 millions de francs
suisses à un fonds spécial en faveur des victimes
de la Shoah.
Depuis que les différents groupes de "chercheurs"
enquêtent tous azimuts, le paysage bancaire helvétique
ne cesse de s'obscurcir. Ainsi, l'on a appris qu'en mai 1945,
la Banque Nationale Suisse avait vendu à l'Espagne des
lingots frappés de la swastika, provenant du pillage des
banques belges et néerlandaises.
L'itinéraire suivi par l'or arraché aux victimes
des camps de la mort est encore mal connu; le journal autrichien
Standard estimait récemment qu'il avait surtout profité
aux banques allemandes.
Le rôle du Vatican
La délégation du Vatican venue à la conférence
de Londres, sous la pression internationale, s'est vue réclamer
par le représentant des Tziganes des explications concernant
le "trésor oustachi", qui aurait été
remis au Vatican par Ante Pavelic. Une partie de ce trésor,
amassé par le leader fasciste croate, provenait des biens
de 28.000 Tsiganes assassinés dans le camp de Jasenovac,
administré notamment par des prêtres.
En juillet, le Sunday Telegraph avait déjà accusé
le Vatican d'avoir utilisé l'or, que les nazis auraient
remis à Pie XII, pour favoriser la fuite des criminels
de guerre vers l'Amérique latine.
Le Vatican a toujours démenti cette version. Le Congrès
Mondial Juif a également demandé l'ouverture des
archives du Saint-Siège. À cette demande, régulièrement
formulée, le Vatican répond que les "conditions
matérielles de sécurité ne permettent pas
une telle consultation". Il est pourtant d'usage que les
archives soient ouvertes, pontificat, par pontificat, et Pie XII
est mort en 1958.
La conférence de Londres a pris rapidement un ton très
polémique. En ouverture des débats, le Congrès
Juif Mondial demandait que soient ouvertes immédiatement
les archives de la commission tripartite qui avait procédé
à redistribution de l'or pillé par les Allemands.
Américains, Français, Britanniques ont refusé
d'une même voix, estimant que cela ne pouvait être
fait qu'une fois que le reliquat des 5,5 tonnes d'or restantes
serait distribué.
Les Ukrainiens, de leur côté, au nom des souffrances
subies par leur peuple, demandèrent de bénéficier
de l'argent provenant du fonds d'intervention internationale,
dont le ministre britannique des Affaires étrangères
avait proposé la création en début de séance.
Lord Janner, membre de la commission britannique, s'emportait,
en déclarant que "les Ukrainiens avaient participé
à l'extermination des Juifs".
En fait, la conférence de Londres et son climat passionné
ont prouvé que les comptes de la Deuxième Guerre
mondiale et de l'holocauste étaient loin d'être clos,
et se trouvaient de nouveau l'objet d'enjeux politiques et idéologiques.
En cette fin de siècle, l'Histoire réclame sa part
de vérité et celle-ci est très difficilement
négociable.
Alain Van Der Eecken.
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