PORTRAIT DE PIE XII

 

" Devant le récit de ce que l'on faisait aux juifs, Pie XI aurait fulguré. Pas Pie XII : ce n'était pas dans son tempérament ", reconnaît Robert Serrou, éminent " vaticaniste " et auteur d'une biographie de Pacelli, Pie XII.

L'Express, Pie XII et les nazis : le film choc, 21 février 2002, p. 12.

PACELLI ET L'ANTISEMITISME

" Il n'était pas possible jusqu'à ce jour de relater dans son intégralité la carrière de diplomate et de secrétaire d'État de Pacelli. Les nouveaux éléments contenus dans cet ouvrage révèlent cependant un vieux fond d'antijudaïsme chez Pacelli qui donne à penser qu'il ne fut pas saisi d'indignation morale face au sort des juifs.
Voici ce que nous savons avec certitude des attitudes, des lignes de conduite et des décisions de Pacelli vis-à-vis des Juifs, durant un quart de siècle.
Pacelli fit montre d'une secrète antipathie à la fois religieuse et raciste envers les juifs, perceptible chez lui dès l'âge de quarante6trois ans, alors qu'il était à Munich. Ce penchant contredit les déclarations ultérieures selon lesquelles il affirmait respecter les juifs et selon lesquelles ses actions et ses omissions pendant la guerre auraient été accomplies dans les meilleures intentions.
Depuis 1917, et jusqu'à ce que l'on retrouve l'" encyclique perdue " de 1939, Humani generis unitas, Pacelli et les services dont il était responsable appliquèrent une politique hostile envers les juifs, fondée sur la conviction qu'il existait un lien entre le Judaïsme et la conspiration bolchevique contre la Chrétienté.
La politique concordataire de Pacelli priva les catholiques de tout moyen de protester en faveur des Juifs. Hitler lui-même allait reconnaître, lors de la réunion du cabinet le 14 juillet 1933, qu'avec le concordat du Reich plus rien ne s'opposait à la destruction des juifs.
Tout en répudiant publiquement les théories racistes, au milieu des années trente, Pacelli omit d'appuyer la protestation de l'épiscopat catholique allemand contre l'antisémitisme. Il n'essaya pas non plus d'intervenir quand le clergé catholique collabora à la " certification raciale " qui permit l'identification des juifs et fournit ainsi les renseignements qui allaient condamner des millions d'entre eux aux chambres à gaz.
Après la publication de l'encyclique Mit brennender Sorge de Pie XI, Pacelli tenta secrètement d'en atténuer la force en rassurant les Allemands.
De toute une série de preuves, y compris l'" encyclique perdue ", Humani generis unitas, il ressort que Pacelli était convaincu que les juifs avaient attiré le malheur sur leur propre tête ; toute intervention en leur faveur pourrait conduire l'Église à s'allier avec des forces - principalement l'Union soviétique - dont le but ultime était la destruction de l'Église institutionnelle. Quand la guerre commença, il était donc résolu à se tenir à l'écart de tout appel en faveur des juifs sur la scène politique internationale. Cela ne l'empêchait pas de donner des instructions pour alléger leur sort au nom de la charité la plus élémentaire.
Nous sommes obligés de conclure que son silence résultait davantage d'une crainte et d'une méfiance qui lui étaient habituelles vis-à-vis des juifs que d'une stratégie diplomatique o u d'un désir d'impartialité. Il sut parfaitement prendre parti quand les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg furent envahis en mai 1940. Face aux plaintes de catholiques allemands, il écrivit aux évêques allemands en soulignant que la neutralité n'est pas la même chose que " l'indifférence et l'apathie lorsque les considérations morales et humaines exigent une parole franche ". [ADSS, ii, lettre 53, p. 155 sq.] D'un point de vue moral et humain, l'extermination de millions d'hommes n'appelait-elle donc pas " une parole franche " ?
Ce silence autour de la Solution finale apporta au monde la preuve que le vicaire du Christ n'était homme ni de pitié ni de colère. De ce point de vue, il était le pape idéal pour les desseins indicibles de Hitler. Il était un pion dans le jeu de Hitler. Il fut le pape de Hitler.
Nous l'avons vu, l'unique occasion où Pacelli rompit le silence qu'il s'était imposé fut ce message de Noël de 1942, où ne figurait aucun des mots juif, non-aryen, Allemand et nazi.
Une ambiguïté délibérée - le langage diplomatique - peut se comprendre dans les cas où la conscience d'un individu est soumise à des pressions inconciliables, et particulièrement en temps de guerre quand il y a nécessité constante de choisir le moindre mal. Le message de Noël pourrait se défendre ainsi : le devoir qu'avait Pacelli de s'exprimer entrait en conflit avec l'obligation d'éviter les nouvelles représailles qu'aurait engendrées son franc-parler. Pour autant, cela ne lui donnait pas le droit d'ignorer indéfiniment une obligation essentielle. Le devoir de dénoncer la Solution finale persista jusqu'au moment où la conscience de Pacelli fut enfin " libérée " des pressions qui pesaient sur lui et le contraignaient à se taire. Finalement, non seulement il omit d'expliquer et de justifier sa réticence, mais il revendiqua après coup la supériorité morale d'un homme qui avait parlé franchement.
S'adressant aux délégués du Conseil suprême du peuple de Palestine, le 3 août 1946, il dit : " Il est inutile que je vous dise que nous désapprouvons tout recours à la force et à la violence, d'où qu'elles viennent, tout comme, à plusieurs occasions dans le passé, nous avons condamné les persécutions infligées au peuple hébreu par un antisémitisme fanatique. " [AAS, vol. 38, 1946, p. 323.] Après s'être rendu complice de la Solution finale en omettant de la condamner, il " aggrava" son cas en posant après coup au défenseur du peuple juif. Son plaidoyer pro domo de 1946 le montre clairement : le pape idéal pour la Solution finale se doublait d'un hypocrite.
A la veille de la libération de Rome, alors qu'il était l'unique autorité italienne présente dans la ville, le souverain pontife allait affronter une épreuve beaucoup plus immédiate : le 16 octobre 1943, les troupes allemandes entrèrent dans le ghetto romain, raflèrent tous les juifs qu'ils purent trouver, et les emprisonnèrent au Collegio Militare de la via della Lungara sous les murs mêmes du Vatican. "

John Cornwell, Le Pape et Hitler, 1999, p. 372-374.

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