PACELLI
ET L'ANTISEMITISME
"
Il n'était pas possible jusqu'à ce jour de relater
dans son intégralité la carrière de diplomate
et de secrétaire d'État de Pacelli. Les nouveaux
éléments contenus dans cet ouvrage révèlent
cependant un vieux fond d'antijudaïsme chez Pacelli qui donne
à penser qu'il ne fut pas saisi d'indignation morale face
au sort des juifs.
Voici ce que nous savons avec certitude des attitudes, des lignes
de conduite et des décisions de Pacelli vis-à-vis
des Juifs, durant un quart de siècle.
Pacelli fit montre d'une secrète antipathie à la
fois religieuse et raciste envers les juifs, perceptible chez
lui dès l'âge de quarante6trois ans, alors qu'il
était à Munich. Ce penchant contredit les déclarations
ultérieures selon lesquelles il affirmait respecter les
juifs et selon lesquelles ses actions et ses omissions pendant
la guerre auraient été accomplies dans les meilleures
intentions.
Depuis 1917, et jusqu'à ce que l'on retrouve l'" encyclique
perdue " de 1939, Humani generis unitas, Pacelli et les services
dont il était responsable appliquèrent une politique
hostile envers les juifs, fondée sur la conviction qu'il
existait un lien entre le Judaïsme et la conspiration bolchevique
contre la Chrétienté.
La politique concordataire de Pacelli priva les catholiques de
tout moyen de protester en faveur des Juifs. Hitler lui-même
allait reconnaître, lors de la réunion du cabinet
le 14 juillet 1933, qu'avec le concordat du Reich plus rien ne
s'opposait à la destruction des juifs.
Tout en répudiant publiquement les théories racistes,
au milieu des années trente, Pacelli omit d'appuyer la
protestation de l'épiscopat catholique allemand contre
l'antisémitisme. Il n'essaya pas non plus d'intervenir
quand le clergé catholique collabora à la "
certification raciale " qui permit l'identification des juifs
et fournit ainsi les renseignements qui allaient condamner des
millions d'entre eux aux chambres à gaz.
Après la publication de l'encyclique Mit brennender Sorge
de Pie XI, Pacelli tenta secrètement d'en atténuer
la force en rassurant les Allemands.
De toute une série de preuves, y compris l'" encyclique
perdue ", Humani generis unitas, il ressort que Pacelli était
convaincu que les juifs avaient attiré le malheur sur leur
propre tête ; toute intervention en leur faveur pourrait
conduire l'Église à s'allier avec des forces - principalement
l'Union soviétique - dont le but ultime était la
destruction de l'Église institutionnelle. Quand la guerre
commença, il était donc résolu à se
tenir à l'écart de tout appel en faveur des juifs
sur la scène politique internationale. Cela ne l'empêchait
pas de donner des instructions pour alléger leur sort au
nom de la charité la plus élémentaire.
Nous sommes obligés de conclure que son silence résultait
davantage d'une crainte et d'une méfiance qui lui étaient
habituelles vis-à-vis des juifs que d'une stratégie
diplomatique o u d'un désir d'impartialité. Il sut
parfaitement prendre parti quand les Pays-Bas, la Belgique et
le Luxembourg furent envahis en mai 1940. Face aux plaintes de
catholiques allemands, il écrivit aux évêques
allemands en soulignant que la neutralité n'est pas la
même chose que " l'indifférence et l'apathie
lorsque les considérations morales et humaines exigent
une parole franche ". [ADSS, ii, lettre 53, p. 155 sq.] D'un
point de vue moral et humain, l'extermination de millions d'hommes
n'appelait-elle donc pas " une parole franche " ?
Ce silence autour de la Solution finale apporta au monde la preuve
que le vicaire du Christ n'était homme ni de pitié
ni de colère. De ce point de vue, il était le pape
idéal pour les desseins indicibles de Hitler. Il était
un pion dans le jeu de Hitler. Il fut le pape de Hitler.
Nous l'avons vu, l'unique occasion où Pacelli rompit le
silence qu'il s'était imposé fut ce message de Noël
de 1942, où ne figurait aucun des mots juif, non-aryen,
Allemand et nazi.
Une ambiguïté délibérée - le
langage diplomatique - peut se comprendre dans les cas où
la conscience d'un individu est soumise à des pressions
inconciliables, et particulièrement en temps de guerre
quand il y a nécessité constante de choisir le moindre
mal. Le message de Noël pourrait se défendre ainsi
: le devoir qu'avait Pacelli de s'exprimer entrait en conflit
avec l'obligation d'éviter les nouvelles représailles
qu'aurait engendrées son franc-parler. Pour autant, cela
ne lui donnait pas le droit d'ignorer indéfiniment une
obligation essentielle. Le devoir de dénoncer la Solution
finale persista jusqu'au moment où la conscience de Pacelli
fut enfin " libérée " des pressions qui
pesaient sur lui et le contraignaient à se taire. Finalement,
non seulement il omit d'expliquer et de justifier sa réticence,
mais il revendiqua après coup la supériorité
morale d'un homme qui avait parlé franchement.
S'adressant aux délégués du Conseil suprême
du peuple de Palestine, le 3 août 1946, il dit : "
Il est inutile que je vous dise que nous désapprouvons
tout recours à la force et à la violence, d'où
qu'elles viennent, tout comme, à plusieurs occasions dans
le passé, nous avons condamné les persécutions
infligées au peuple hébreu par un antisémitisme
fanatique. " [AAS, vol. 38, 1946, p. 323.] Après s'être
rendu complice de la Solution finale en omettant de la condamner,
il " aggrava" son cas en posant après coup au
défenseur du peuple juif. Son plaidoyer pro domo de 1946
le montre clairement : le pape idéal pour la Solution finale
se doublait d'un hypocrite.
A la veille de la libération de Rome, alors qu'il était
l'unique autorité italienne présente dans la ville,
le souverain pontife allait affronter une épreuve beaucoup
plus immédiate : le 16 octobre 1943, les troupes allemandes
entrèrent dans le ghetto romain, raflèrent tous
les juifs qu'ils purent trouver, et les emprisonnèrent
au Collegio Militare de la via della Lungara sous les murs mêmes
du Vatican. "
John
Cornwell, Le
Pape et Hitler, 1999, p. 372-374.
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