SECTION V. - Des variantes. Règles pour déterminer le texte.
§ 41. Des variantes. Leur origine. - Il y a plus de treize cents manuscrits hébreux et de six cents manuscrits grecs connus qui ont été collationnés pour la fixation du texte sacré. Ils ne représentent pas tous les Ecritures tout entières, mais seulement des portions plus ou moins considérables. Chacune des trois divisions de l'Ancien-Testament formait un rouleau ou volume distinct, comme chacune des divisions du Nouveau-Testament forme, en général, un manuscrit a part (voyez §§ 4 et 27).
Ces manuscrits, copiés à la main par exemplaires isolés, ont été exposés à de nombreuses sources d'erreurs, volontaires ou involontaires, plus ou moins importantes; on ne saurait guère s'en étonner si l'on fait attention que même aujourd'hui les livres imprimés avec le plus de soin, renferment souvent de nombreuses et grosses fautes typographiques. Les chances d'erreur étaient bien plus nombreuses pour l'écriture; la possibilité de corriger à la main était également une facilité pour altérer le texte ; la lenteur du travail rendait faciles l'addition, l'omission , le changement, la transposition d'une lettre, d'une syllabe, d'un mot , même d'une portion de phrase.
Quelquefois l'écrivain copiait un manuscrit placé devant lui ; d'autres fois, il écrivait sous dictée. Dans le premier cas, son oeil pouvait le tromper; dans le second , son oreille. Des mots différents ayant une même syllabe finale, des phrases différentes se terminant par un même mot , pouvaient induire en erreur. On pouvait ne déchiffrer qu'avec peine le manuscrit, mal comprendre ses abréviations, mal diviser les mots et les phrases, s'ils étaient écrits sans pause ni ponctuation d'aucun genre, comme c'était le cas pour les manuscrits les plus anciens,le manuscrit enfin pouvait être en partie, effacé. Ainsi , différentes causes concouraient à altérer progressivement le texte, sans parler même des falsifications auxquelles certains faussaires avaient recours dans un intérêt personnel ou dogmatique.
Mais ces erreurs, toujours locales, trouvaient un contrepoids constant dans le texte des autres manuscrits. Elles n'avaient, d'ailleurs, presque jamais une bien grande signification et se réduisent de fait à des erreurs du genre de celles que l'on peut trouver dans des Bibles imprimées aujourd'hui. On peut dire plus encore; les variantes des anciens manuscrits n'altèrent pas le texte aussi grossièrement ni aussi constamment que le font deux éditions de la Bible qui ont été imprimées « par autorité » des papes Sixte et Clément. Hody a fait le relevé de leurs erreurs ou omissions. L'édition sixtine a omis les passages Prov., XXV, 24. Matth., XXVII , 35. Juges, XVII, 2, 3, etc. L'édition de Clément a omis 1 Sam., XXIV, 8. 2 Sam., VIII, 8. Elles se contredisent l'une l'autre en Josué, II, 18; IX, 19. Exode, XXXII, 28. Gen., XXIV, 24. 1 Rois, Il, 28, etc.
Examinons avec quelques détails quelques-unes des sources d'erreur les plus ordinaires.
1° Quelquefois, lorsqu'on dictait, la similitude du son , ou , quand on copiait, la similitude de la forme, amenait une fausse leçon. -
Ainsi, Juges, VIII, 16, « il les enseigna, » d'après quelques manuscrits; mais plutôt, d'après d'autres, ainsi que d'après les Septante, le caldéen, l'arabe, la Peshito et la Vulgate , « il les froissa » au lieu de qui est la vraie leçon).
Nomb., XXII, 5. Des enfants de « son peuple; » quelques-uns lisent à tort : « de Hammon » au lieu de qui est la vraie leçon ).
Jonas , I, 9. « Je suis hébreu. » Les Septante et quelques manuscrits portent : « Je suis le serviteur de l'Eternel. » au lieu de , la seule différence d'un et d'un.
Deux mois hébreux , et , qui se prononcent exactement de la même manière, mais dont le premier signifie pas, non, et le second à lui, sont souvent mis l'un pour l'autre dans les manuscrits; ainsi, est mis quinze fois pour , et l'inverse deux fois dans divers manuscrits. Le texte hébreu dont nous nous servons a, du reste, été déjà rectifié par les massorètes en ces différents endroits , sauf peut-être 2 Rois, VIII, 10, où l'on devrait lire « Vas, dis : Tu ne vivras pas, mais, etc. »
Ephés., IV, 19. Quelques manuscrits portent « ayant perdu toute espérance , au lieu de.
On peut ranger dans la même catégorie certaines transpositions de lettres ou de mots qui se rencontrent quelquefois : Salmaï (Néh., VII, 48, pour Samlaï (Esdras, IV, 46) ; Almugghim pour Algummim (1 Rois, X, 11, cf. 2 Chron., IX, 10). - La différence d'une seule lettre principale et la transposition d'une autre amènent les traductions suivantes dans les passages parallèles. 2 Sam., VI, 5 : « Toutes sortes d'instruments faits de bois de sapin , » et 1 Chron., XIII, 8 : « de toute leur force. » Cf. encore en hébreu 2 Sam., VI, 2. 1 Chron., XIII, 6.
Comme les Juifs ne prononçaient jamais le nom de Jéhovah, mais le remplaçaient toujours dans la lecture par Adonaï et Elohim , ces derniers noms étaient souvent placés dans les manuscrits à la place du premier.
Enfin, les lettres servant en même temps de chiffres chez les Hébreux, il en résultait d'autant plus facilement des erreurs que dans l'origine, comme on l'a vu, les mots n'étaient pas séparés les uns des autres, et que les lettres étaient moins distinctes qu'elles ne le sont aujourd'hui.
2° Des répétitions dans le texte, des mots ou des phrases se terminant de la même manière (ce qu'on appelle un homoyoteleuton) étaient l'occasion de fréquentes erreurs.
On peut en trouver des exemples dans 1 Chron., IX , 5. 1 Rois, XIV, 25, cf. 2 Chron., XII, 2, 9. Voyez aussi Nomb., XXVI, 3 , et comparez Ps. XXXVII, 28, avec les Septante.
Les mots de Matth., XXVIII, 9, « comme elles allaient pour l'annoncer à ses disciples, » qui se retrouvent pour le sens et pour l'assonnance à la fin du verset 8, sont omis dans B, D, ainsi que dans la Vulgate, le Syriaque, Arabe, Copte, Arménien, Persan, et dans les Pères Chrysostôme, Jérôme , Augustin, etc., mais ils se trouvent dans la plupart des manuscrits. - La fin de 1 Cor., X, 28 (car la terre, etc.), vient du verset 26 par une erreur de copiste, et manque dans A, B, D, dans les plus anciennes versions et dans les meilleures autorités.
3° Beaucoup de variantes ne sont que l'emploi de mots synonymes pris les tins pour les autres. - 1 Rois, I, 10. Il dit, au lieu de : il parla. - Matth., II, 11. Ils virent, pour : ils trouvèrent ( pour ). - Matth., XII , 32. Dans ce siècle-ci , pour - dans ce présent siècle. - Luc, VII, 24. Les messagers de Jean, pour : les disciples de Jean.
4° Des copistes pouvaient avoir la connaissance de langues orientales ou de dialectes autres que ceux des manuscrits qu'ils copiaient, et leur travail pouvait s'en ressentir, soit par la substitution de mots plus connus, soit simplement dans l'orthographe même des mots.
5° L'absence de ponctuation et la réunion des mots, sans aucune espère de séparation , a amené quelques variantes, moins cependant qu'on n'aurait pu le prévoir. - Ps. XLVIII, 14. jusqu'à la mort ( ) ; quelques manuscrits, en réunissant ces deux mots, lisent : à toujours, ce qui n'altère même pas le sens. - Par une erreur semblable, on pourrait lire, Ps. XXV, 17 : Augmente les détresses de mon coeur, tire-moi , etc. Cf. encore Ps. IV, 3 , et les Septante.
6° Quelques abréviations pouvaient être mal comprises. Le (1) des Hébreux est une abréviation du nom de Jéhovah; c'est aussi le Pronom mon. De là , Jér., VI, 11, dans la traduction des Septante, une erreur de traduction; ils ont mis ma fureur au lieu de : la fureur de l'Eternel. De même encore les lettres (1 Pierre, II, 3) ; elles peuvent signifier , gracieux; quelques Pères , Clément d'Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Théophile, les ont traduites par , Christ. (Il pourrait cependant y avoir eu aussi, dans ce cas, confusion de lettres par suite de l'itacisme , prononciation des Grecs postérieurs qui est encore celle des Grecs modernes et celle des Anglais ; les deux lettres et se prononçant de la même manière, les deux mots pouvaient être pris l'un pour l'autre.)
C'est de la même manière encore que s'expliquent les variantes nombreuses de 1 Tim., III, 16. Le mot Dieu, , s'écrivait par abréviation ; quelques copistes peuvent avoir lu simplement, et d'autres en auront fait pour l'accorder avec le mot neutre qui précède. Le contraire a pu arriver également.
7° Comme il n'y avait aucune séparation des mots hébreux à la fin d'une ligne et que, d'un autre côté, les copistes n'aimaient pas à laisser des espaces blancs, ils remplissaient volontiers la fin d'une ligne, soit par quelque lettre favorite , soit par un signe quelconque, soit par la lettre initiale du mot suivant qui n'en était pas moins reproduit tout entier à la ligne suivante. Ces lettres supplémentaires, qu'on appelait custodes linearum, passaient quelquefois dans le texte par l'inadvertance d'un copiste ; ainsi Esaïe, XXXV, 4. D'autres fois , au contraire, le copiste prenait, pour une lettre supplémentaire une lettre qui ne l'était pas et l'omettait.
8° Des notes marginales, destinées à expliquer le texte, passaient quelquefois dans le texte même. Ainsi (Esaïe, XL, 7), les mots « vraiment le peuple est comme l'herbe » sont, selon toute apparence, une glose ; ils ne se trouvent pas dans les Septante. Jahn pense qu'il en est de même du chiffre 50,000 indiqué dans 1 Sam., VI, 19, lequel devrait être placé ailleurs. - Marc, I, 16. Plusieurs copistes, pour éviter l'équivoque du pronom , ont écrit, d'après une marginale, « frère de ce même Simon. » Rom., VIII, 28, Un copiste, pour éviter toute ambiguïté, a ajouté en marge , Dieu dirige tout pour le bien; une autre a fait passer la glose dans le texte. Dans 1 Cor., XVI, 2, nous lisons , le premier jour de la semaine; quelqu'un ajoute en marge , le jour du Seigneur, pour mieux préciser le sens du texte, et cette addition passe elle-même dans le texte. Dans d'autres cas, on écrivait même la glose à la place du mot véritable; ainsi (1 Pierre, II, 13), il y a , expression difficile à comprendre : un copiste l'a remplacée par .
Toutes ces variantes et causes d'erreur se présentent avec un caractère accidentel. D'autres, au contraire, n'ont pu avoir lieu que volontairement, dans une intention bonne ou mauvaise, soit que l'on crût rectifier et rétablir le texte primitif, soit qu'on voulût le falsifier, Ainsi,
9° Par un respect exagéré de la lettre et pour ne pas nuire à l'apparence extérieure du manuscrit, on reproduisait jusqu'aux erreurs du manuscrit que l'on copiait; ou bien encore, si une faute était faite, on la reproduisait aussi souvent que le même mot se présentait, pour ne pas avoir deux orthographes différentes. C'est de cette manière que quelques-uns expliquent l'emploi presque constant du masculin au lieu du féminin pour désigner une jeune fille dans le Pentateuque, naar pour naara; ainsi que la faute trente-quatre fois répétée dans le chap. XL d'Ezéchiel d'un pluriel mal formé par l'omission de la lettre caractéristique . Ajoutons cependant que ces bizarreries grammaticales peuvent encore s'expliquer autrement.
10° D'autres fois, les copistes pouvaient avoir la tentation d'altérer légèrement le texte pour le rendre plus clair et plus facile à entendre. Ainsi , plusieurs passages du premier livre des Chroniques ( X, 12 ; XVII , 21 ; XV, 29 ) , comparés avec les passages parallèles des livres de Samuel (1 Sam., XXXI , 12. 2 Sam., VII, 23 ;VI, 16 dans l'hébreu) nous montrent le mot ancien remplacé par le nom moderne plus connu. - Les mots fut déliée (Luc, I, 64), qui ne se trouvent pas dans le texte , sont ajoutés dans quelques manuscrits et dans quelques versions. - Exode, XV, 3. Les mots, un vaillant guerrier, sont remplacés dans le texte samaritain par : puissant en batailles. - Gen., Il , 2. Le samaritain et le syriaque lisent : Dieu eut achevé au sixième jour, au lieu de septième qui pouvait, selon eux, entraîner des conséquences dangereuses.
On peut observer, d'une manière générale, que les manuscrits de la famille alexandrine s'attachent de préférence aux leçons que recommande la grammaire , et que la recension occidentale choisit plutôt parmi les variantes celles qui donnent le sens le plus clair.
11° Quelques rectifications étaient faites d'après d'autres passages parallèles ou pour faire concorder une citation avec le texte cité.
Sous ce rapport , les Septante ont exercé une grande influence sur le texte du Nouveau-Testament ( voir Griesbach, édition de Schulz , 4827, et Tholuck, appendice à son Commentaire sur l'épître aux Hébreux). - Ainsi (Luc, IV, 18) les mots « pour guérir ceux qui ont le coeur froissé, » manquent dans plusieurs manuscrits, ils ont été pris probablement dans Esaïe, LXI, 1 , traduction des Septante. - Les mots « de son coeur (Matth., XII, 35), » sont venus probablement de Luc, VI, 45, et manquent dans beaucoup de manuscrits, ainsi que dans la Vulg., Syr., Copt., Pers., Arab. - Les mots « être baptisés du baptême dont je dois être baptisé (Matth., XX, 22 , 23) » manquent également dans plusieurs manuscrits et versions , et ont été ajoutés d'après Marc, X, 38, 39. - La citation (Matth., XXVII , 35) « afin que fût accompli, etc., » est venue de Jean, XIX, 24, et manque dans A, B, D, E, F, G, H, K, L , M , dans beaucoup d'autres manuscrits et dans les versions syriaque, copte, éthiopienne et arabe. - 1 Cor., XV, 5. Le mot douze n'étant pas tout-à-fait exact, puisque Thomas était absent, quelques manuscrits lisent les onze; on eût pu également lire les dix en admettant que Judas aussi fût absent. - Marc, VIII, 31. Quelques manuscrits lisent après trois jours; d'autres, le troisième jour.
12° Il y a quelques exemples de falsifications plus coupables,
faites dans un intérêt de parti - Marcion est, à cet égard, le faussaire le plus renommé; mais son entreprise n'était pas dangereuse , puisqu'il l'avouait hautement. - Deut., XXVII, 4. Le Samaritain a substitué au mot d'Hébal celui de Guérizim , montagne située sur le territoire de la Samarie, et le passage ainsi falsifié fut invoqué à l'appui de la construction du temple. - Juges, XVIII , 30. Au lieu de Moïse, quelques manuscrits ont mis Manassé pour sauver l'honneur de la famille de Moïse : le rabbin Salomon Jarchi le reconnaît. Cependant de pareilles altérations sont rares dans l'Ancien-Testament; elles sont plus fréquentes dans le Nouveau. Ainsi, pour accréditer le dogme de la perpétuelle virginité de Marie, quelques manuscrits ont effacé les mots « avant qu'ils fussent ensemble » et « premier-né (Matth. , I, 18 , 25). » Quelques manuscrits et quelques Pères ont effacé « ni même le Fils (Marc, XIII, 32) » qui paraissaient favoriser l'arianisme; c'est peut-être avec la même préoccupation que les manuscrits A, B et quelques autres ont omis Luc, XXII, 43; de même encore Luc, XIX, 41.
13° Il y a enfin des variantes qui, ne rentrant dans aucune des catégories précédentes, ne peuvent guère s'expliquer que par des négligences de copistes. Ainsi l'omission du nom de Joël, fils de Samuel (1 Chron., VI, 28, cf. verset 33 et 1 Sam., VIII, 2). L'évêque Lowth a compté, dans Esaïe, cinquante omissions de ce genre, fort légères , du reste, quant au sens de la phrase. On peut trouver une altération assez grave en 2 Sam., XXI, 19, dont le texte doit être rétabli comme il se trouve 1 Chron., XX, 5 (voyez Bost, Dict. de la Bible, 1 , p. 321). Les quatre cent trente années mentionnées (Exode, XII, 40) comme temps du séjour des Israélites en Egypte sont une incorrection; ce séjour ne fut que de deux cent quinze ans, et le texte, tel qu'il existe, est en contradiction manifeste avec Gal., III, 17. Ce chiffre, trop élevé, doit comprendre encore la vie des patriarches depuis Abraham et leur séjour dans le désert, ainsi que l'indiquent les Septante, le Samaritain et quelques manuscrits qui ajoutent : « et de leurs pères qui vécurent dans le pays d'Egypte et en Canaan.»
Le nombre des variantes produites par ces différentes causes, on l'a déjà vu, s'élève à plusieurs milliers ; mais elles ont si peu d'importance qu'en adoptant même la version lit plus défectueuse, les vérités de l'Ecriture demeurent sans la moindre altération.
§ 42. Principes à suivre pour la détermination du texte véritable.
Quoique l'ensemble des variantes n'affecte pas le sens général des Ecritures, il n'en est pas moins intéressant , dans la plupart des cas, de rechercher, au milieu des leçons diverses qui se présentent, celle qui paraît devoir être acceptée comme la leçon primitive et authentique. Les savants se sont occupés de déterminer les règles qui doivent présider à ce travail, et nous indiquerons ici , en substance, les résultats auxquels ils sont parvenus (Griesbach , Prolégom.; Wettstein, Introd. au Nouveau-Testament grec; Eichhorn, de Wette, Introd., I, 349 ; Haevernick).
Remarquons d'abord qu'on distingue les preuves en internes et externes. Quand tous les manuscrits, les versions et les citations sont d'accord sur une leçon , il y a une preuve externe de son authenticité. Quand une leçon est conforme au sens, au contexte, aux faits historiques , aux passages parallèles, il y a preuve interne. Quand ces deux preuves sont réunies, il y a évidence complète.
C'est ce qui a lieu pour l'ensemble des saintes Ecritures, telles qu'elles se trouvent dans nos éditions vulgaires.
Ajoutons que la valeur d'une variante est en proportion de l'antiquité du manuscrit qui la donne , parce que, plus il est ancien , moins il y a de chances qu'il ait été dénaturé en passant par diverses mains. Cependant un manuscrit, relativement moderne, dont on sait qu'il a été copié, d'après un manuscrit fort ancien, peut avoir plus de valeur qu'un manuscrit plus ancien qui n'offrirait pas cette garantie. Il faut tenir compte aussi du nombre des manuscrits qui renferment une variante, de la famille à laquelle ils appartiennent et du soin avec lequel ils ont été écrits.
Quand on parle des manuscrits hébreux, ce n'est pas de la famille ou de la recension , mais du pays dont ils proviennent qu'il faut tenir compte, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne représentant leurs diverses origines dans l'ordre de leur valeur critique.
Voici maintenant les règles générales qui peuvent servir de guides pour la fixation du texte :
1° Quand il y a désaccord entre les preuves externes et les preuves internes, les premières doivent l'emporter; car elles sont une autorité, tandis que les secondes ne sont que des présomptions; or, une question d'authenticité ou de texte est une question de fait qui ne se détermine que par une autorité.
2° Quelquefois cependant, et c'est le cas pour la plupart des variantes massorétiques, l'évidence interne est si forte qu'elle contrebalance les preuves et indices extérieurs ; cela arrive quand la leçon est décidément fausse, mal orthographiée ou quand l'introduction d'une glose étrangère s'explique aisément et sans laisser aucun doute.
3° Une variante doit être admise quand elle est appuyée par la plupart des anciens manuscrits et des anciennes versions, par les citations, les parallèles et le sens, alors même qu'elle ne se trouverait pas dans tous les anciens manuscrits ou dans la version vulgaire (ainsi , Esaïe, LX, 21, mes plantes ; quelques manuscrits portent sa plante).
4° Une leçon est probable quand elle a pour elle quelques anciens manuscrits et versions, les citations, les parallèles et le sens, lors même qu'elle n'aurait pas en sa faveur le plus grand nombre des manuscrits. (Ainsi, les manuscrits les plus nombreux portent, 2 Chron., XI, 18, que Roboam épousa Mahalath, fils de Jérimoth; le sens indique clairement qu'il faut lire fille. )
5° Les leçons du Pentateuque appuyées par le Samaritain, par quelques manuscrits hébreux, par les anciennes versions , le parallélisme et le sens doivent être admises, quoique ne se trouvant pas dans la plupart des manuscrits (Gen., XLVII , 3 : Tes serviteurs sont un berger ; il faut évidemment lire bergers au pluriel , quoiqu'il n'y ait que trente manuscrits pour cette leçon. - Gen., II, 24 : Ils seront; lisez : les deux seront une même chair ; c'est le texte du Samar., des Septante, de l'Ital., Arab., Vulgate et de Matth., XIX, 5. - voyez aussi Exode, XII, 40.)
6° L'accord du sens avec les plus anciens manuscrits peut suffire à montrer qu'une leçon est véritable, quoique non généralement reçue (Esaïe, LVII, 13, « que ceux que tu assembles te délivrent ; » la plupart des manuscrits mettent le verbe au singulier, dix seulement ont le pluriel). Cette règle est surtout applicable au Nouveau-Testament.
7° L'accord des anciennes versions, du sens et du parallélisme suffira souvent pour établir la valeur d'une variante, surtout pour l'Ancien-Testament ( Ps. LXVIII , 18 - « Tu as pris des dons entre les hommes; » d'après Ephés., IV, 8, Targum, Syr., Ethiop., Arab. et quelques Pères, il faudrait lire - « Tu as donné des dons, » Whiston et quelques Anglais ont proposé dans le texte hébreu l'interversion de deux lettres, au lieu de cependant l'exégèse a d'autres moyens d'expliquer les rapports de la citation de saint Paul avec l'original. - On peut en dire autant d'Esaïe, LIX, 20, comparé avec Rom., XI, 26).
8° Quand un texte est décidément corrompu, un passage parallèle peut indiquer la vraie leçon. (Ainsi, le mot quatrième que nos versions ont ajouté en italiques (2 Rois, XXV, 3) manquait au sens de la phrase; il a été ajouté d'après Jér., LII, 6. - 1 Chron., I, 17, doit évidemment être corrigé par Gen., X, 23. - Esaïe, XXX, 17, doit l'être probablement par Lév., XXVI, 8.)
A ces règles générales nous en ajouterons d'autres pour les cas douteux, pour ceux où les critères extérieurs semblent appuyer également deux leçons différentes. Le travail critique est alors plus difficile, et les restes ne peuvent être appliquées d'une manière rigoureuse.
1° De deux leçons également appuyées par l'autorité des manuscrits, celle-là est la plus probable qui offre le sens le plus naturel , et dont le texte ne peut avoir été écrit par mégarde ou par erreur - 2 Cor., V, 14. On comprend que ait été omis devant par quelques copistes; on ne comprendrait pas qu'il eût été ajouté; le sens l'exige, et, quoiqu'il soit omis dans un grand nombre de manuscrits, il est généralement reconnu comme authentique. Si un est mort , etc. - Actes, XI , 20. Le texte reçu porte hellénistes , c'est-à-dire Juifs parlant grec. Mais les manuscrits A, D, plusieurs versions et plusieurs Pères portent Hellènes, c'est-à-dire Grecs (une nuance qui ne se fait pas bien sentir dans le texte français) ; le sens est en faveur de cette dernière leçon; c'est le second cas de païens évangélisés, cf. Actes, X, 44 , 45. L'historien sacré n'aurait pas indiqué comme un fait remarquable l'évangélisation de Juifs étrangers, surtout après ce qu'il a dit au verset précédent.
2° De deux leçons également probables, la plus complète est aussi la plus vraisemblable, à moins qu'il n'y ait lieu de soupçonner nue interpolation, ou que le texte lui-même trahisse une addition, auquel cas la règle doit être renversée. 1 Chron., XI, 32 : Abiel ; il vaut mieux lire, d'après 2 Sam. , XXIII , 31 , Abi-Halbon , la dernière syllabe pouvant plutôt être omise qu'ajoutée. - Matth., Il , 1. « Au temps du roi Hérode » est authentique, quoiqu'il manque dans plusieurs manuscrits. - Actes, VIII, 37, qui manque dans A. et dans soixante autres manuscrits, ainsi que dans Syr. , Ethiop. et Copht., doit au contraire être regardé comme inauthentique; il a été peut-être ajouté d'après Rom. , X, 9.
3° De deux leçons , l'une classique , l'autre orientale, la dernière est la plus probable.
4° De deux leçons, l'une facile, l'autre plus difficile, celle-ci doit en général être préférée; on comprend, en effet, qu'un copiste ait pu se laisser tenter d'altérer le texte pour le rendre plus clair ; l'inverse ne se comprendrait pas. Wettstein, Griesbach, Bengel et les meilleurs critiques attachent beaucoup d'importance à cette règle.
5° Si deux variantes sont appuyées par des autorités de même valeur , il faut choisir celle qui s'accorde le mieux avec le style de l'écrivain avec l'objet qu'il se propose, et avec le contexte. - Jude, 1 Sanctifiés doit être préféré à la leçon aimés, à , parce que c'est une formule plus usitée au commencement des épîtres. - Actes, XVII, 26 : D'un seul sang. Cette leçon est plus probable que celle qui supprime le mot sang; elle est plus conforme à l'idée hébraïque. L'autre leçon d'un seul vient peut-être de Rom. , IX, 10. - Jean , VI , 69 : Le Fils du Dieu vivant; doit être préféré à , le saint , qui n'est appliqué à Christ que dans la confession du démoniaque. - Marc, I, 2 : Dans les prophètes; Griesbach et Mill lisent : Dans le prophète Esaïe. La première leçon est meilleure, parce qu'il y a ici la citation de deux prophètes.
6° Des variantes hypothétiques, recommandées par le sens ou par l'analogie de textes parallèles , peuvent être considérées comme probables, mais ne doivent être reçues que si elles sont confirmées par l'évidence. - Les mots Dieu vit que cela était bon manquent à la fin du second jour de la création (Gen., 1, 8); mais ils se trouvent au verset 10, au milieu de l'histoire du troisième jour. Il est évident qu'il y a en là une transposition, une erreur des copistes postérieurs, d'autant plus (lue les Septante ont mis ces mots à leur place naturelle. - Ce genre de variantes De peut pas être admis pour le Nouveau-Testament, dont les manuscrits sont fort nombreux; il ne peut même l'être que très-rarement pour l'Ancien. Voyez encore Josué , XXIV, 19 , où il faut lire : « Ne cessez pas de servir l'Eternel. - Esaïe, LII, 15; XVII , 2, etc. »
7° Notons encore quelques cas assez rares où plusieurs variantes différentes ont pour elles le sens, quelques manuscrits, quelques versions et quelques citations; il est difficile alors de prononcer , et l'on ne doit se décider qu'avec beaucoup de prudence et de circonspection.
§ 43. Le passage des trois témoins. - Comme exemple à l'appui et pour l'intelligence des principes qui viennent d'être énoncés, citons celui des passages de l'Ecriture qui a fourni matière aux controverses critiques les plus importantes (1 Jean, V , 7). Ce passage se trouve dans le texte imprimé de l'édition de la Vulgate par Clément, dans l'édition grecque de Complutum, dans la troisième édition d'Erasme; il a passé de là dans le texte vulgaire d'Etienne, de Bèze et d'Elzevir.
On fait valoir contre son authenticité
1° Qu'il ne se trouve dans aucun manuscrit grec antérieur au quinzième siècle; il manque dans cent soixante-quatorze manuscrits en lettres cursives , et dans A , B, G , H.
2° Il manque dans toutes les anciennes versions, sauf le latin; dans le plus ancien manuscrit de la Vulgate, le C. Amiatinus, et dans tous ceux qui sont antérieurs au neuvième siècle. Il manque dans les deux versions syriaques, le cophte , l'éthiopien, l'arménien, le slavon , quoiqu'il se trouve dans les éditions imprimées des deux dernières versions et de la Peshito.
3° Les Pères grecs les plus anciens, qui citent fort souvent les versets 6 , 8, 9, ne citent jamais le verset 7.
4° Les meilleures éditions critiques du Nouveau-Testament l'omettent; ainsi, la première et la deuxième édition d'Erasme, Aldus, Harwood, Matthaei, , Griesbach, Lachmann, Scholz, Tischendorf, Hahn. - Cependant Mill et Bengel le conservent.
En faveur de son authenticité, on peut dire :
1°Qu'il se trouve dans quelques manuscrits grecs, le Codex Ravianus de Berlin, le Guelph. et trois autres; il faut ajouter cependant que le premier n'a aucune valeur; que , pour le second , ce verset n'est pas dans le texte, mais en marge seulement; et, quant aux trois autres, qu'ils appartiennent tous au quinzième siècle, et ne sont par conséquent que de très-modernes autorités.
2° Il se trouve dans les anciennes versions latines, excepté dans les manuscrits faits en Afrique. C'est ce qu'on a déjà dit ci-dessus.
3° Quelques Pères latins, Tertullien, Cyprien, Fulgence, semblent y faire allusion. Il n'est cependant pas sûr que leurs citations se rapportent au verset 7 plutôt qu'aux versets 6 et 8.
4° Il est cité dans une confession de foi publiquement présentée au roi des Vandales par une assemblée de quatre cents évêques, en l'an 181. Ce fait , d'ailleurs douteux , ne suffirait pas cependant à affaiblir la force de témoignages contraires.
5° Ce texte enfin serait exigé par le contexte , par la construction et l'ensemble du passage. C'est un argument intérieur dont l'appréciation dépend de chacun.
Quoi qu'il en soit, il vaut mieux ne pas s'appuyer sur ce passage pour établir la doctrine de l'Ecriture à l'égard de la trinité (1).
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(1) Ce paragraphe est traduit littéralement du livre du docteur Angus. On eût pu développer davantage les raisons pour et contre. M. Gaussen indique, d'après l'évêque Middleton, deux considérations grammaticales qui ont beaucoup de poids en faveur de la conservation de l'ancien texte (Théopneustie , chap. IV. Des variantes). Trad.