SECTION IV. - Les anciennes versions de l'Ecriture. § 35. Les Septante. - L'histoire et l'origine de cette célèbre traduction a été l'objet de longues controverses, bien que les questions qui s'y rapportent puissent être maintenant regardées comme résolues. Aristéas , qui se donne pour païen, et qui prétend avoir été un des favoris de la cour de Ptolémée Philadelphe, raconte que cette version a été faite par soixante-douze Juifs, six de chaque tribu, envoyés a Alexandrie par Eléazar à la demande de Démétrius de Phalère, et que le travail entier a été achevé dans l'espace de soixante-douze jours. D'autres ont, encore brodé sur ce thème légendaire, et l'on y a ajouté l'intervention directe de Dieu, et par conséquent l'infaillibilité des traducteurs. Le docteur Hody a le premier établi que cette histoire ne pouvait pas être authentique, sans toutefois qu'on ait rien découvert qui détruise ou rende suspecte la date attribuée à cette version, et la valeur qu'on lui a de tout temps reconnue, An point de vue critique, les Septante contiennent beaucoup de mots gréco-égyptiens, et l'on a fait de bonne heure la remarque que le Pentateuque avait été, traduit avec beaucoup plus de soin que les autres livres. Job, les Psaumes et les Prophètes, surtout Esaïe et Daniel , sont notablement inférieurs quant à l'exactitude. Les livres historiques sont pleins de fautes.
L'Eglise chrétienne primitive accordait à cette version une grande valeur , quoique souvent aussi des écrivains en appelassent contre elle au texte hébreu. Ce fut pour en corriger les inexactitudes les plus saillantes qu'Origène forma le recueil de ses Hexaples. Ce travail , qui se composait de cinquante volumes ou rouleaux, périt probablement dans le sac de Césarée par les Sarrasins, en 653 ; mais heureusement le texte des Septante , l'une des colonnes du livre, avait été recopié par Eusèbe, ainsi que les corrections et additions qu'Origène y avait jointes d'après les autres traducteurs. Ce texte des Hexaples, comme on l'appelle, fut publié par Montfaucon, à Paris, en 1714. Des deux célèbres manuscrits (les Septante, l'un, celui du Vatican (B), est conforme la version originale, tandis que l'autre, celui d'Alexandrie (A) adopte plusieurs des corrections renfermées dans les Hexaples, et se rapproche par conséquent davantage de l'original hébreu.
Les quatre principales éditions des Septante sont l'Aldine (d'Aldus Manutius, 1518), suivant en général les leçons du manuscrit B., celle de Complutum s'attachant plutôt à l'hébreu des massorètes et aux Hexaples d'Origène; celle de Rome, oui du Vatican; et celle de Grabe (Oxford , 1707), habituellement conforme au manuscrit alexandrin, En résumé, la version des Septante est plutôt libre que littérale, et souvent elle ne donne pas le sens exact. Elle a quelquefois de la valeur comme interprétation ; elle en a beaucoup moins pour la détermination du texte.
§ 36. Versions faites d'après les Septante.
A. La version italique. - On connaissait, au temps de saint Augustin, plusieurs traductions latines de la Bible ; la meilleure était la plus ancienne, que l'on désigne généralement sous le nom de Velus Itala; Jérôme lui-même rend témoignage à son excellence. Autant qu'on peut en juger par les fragments qui nous en restent (Job, les Psaumes, quelques livres apocryphes, et des morceaux détachés) , elle avait été faite sur le texte alexandrin. Eichhorn l'attribue au premier siècle.
B. La Vulgate. - Les nombreuses copies de la version italique différant les unes des autres, et le texte original ayant été altéré de diverses manières, Jérôme entreprit, en 382, de le corriger, comme Origène avait précédemment révisé la version des Septante. Il se servit pour cela des Hexaples d'Origène, et révisa soigneusement l'Ancien -Testament tout entier; une partie seulement de sa révision est parvenue jusqu'à nous. Mais, tandis que son travail touchait à sa fin , la version des Septante , qui avait si longtemps joui d'une grande faveur chez les Juifs, tombait en discrédit , probablement parce que, de leur côté, les chrétiens lui accordaient la même estime. Ce discrédit risquait de compromettre l'oeuvre de Jérôme; aussi, sans perdre courage , il entreprit immédiatement de traduire la Bible en latin d'après l'hébreu. Il consacra vingt années à ce travail, qui fut entièrement terminé en M. Le respect traditionnel et superstitieux de plusieurs pour le texte des Septante empêcha quelque temps le succès de cette version nouvelle; mais elle gagna peu à peu du terrain, et à l'époque de Grégoire-le-Grand (601) elle avait acquis une autorité au moins égale à celle des plus anciennes versions, a tel point qu'on l'appela la Vulgate, c'est-à-dire l'édition vulgaire, la plus répandue.
Le texte nouveau était ainsi composé de quelques fragments de la vieille version italique, de fragments de la première révision faite par Jérôme lui-même, et enfin, en plus grande partie, d'un travail tout-à-fait neuf et original , d'une traduction faite directement d'après l'hébreu. Jérôme était en relation avec des hébraïsants distingués , et plusieurs de leurs interprétations ont passé dans le texte de la Vulgate, quoique souvent aussi il ait conservé le sens des Septante , alors même qu'il s'éloignait de celui de l'original. Ce travail, doublement utile au point de vue de l'interprétation et au point de vue de la critique, a cependant moins de valeur sous ce dernier rapport. La version des Psaumes a été faite d'après les Hexaples d'Origène, et on la connaît sous le nom de Psalterium gallicanum. Des erreurs se glissèrent bientôt dans les copies qui furent faites de la Vulgate, et des hommes savants, parmi lesquels nous ne nommerons qu'Alcuin et Lanfranc, durent plus d'une fois recommencer un travail de révision. Les deux principales éditions imprimées sont celles de Sixte V et de Clément VIII ; mais malgré la sanction de l'autorité papale, elles renferment en grand nombre de très-remarquables erreurs et omissions (voyez § 41 ) que Thomas James a recueillies avec soin dans son Bellum papale (Londres, 1600). Le plus important manuscrit de la Vulgate de Jérôme est à Florence ; il porte le nom de C. Amiatinus, et parait avoir été écrit vers 541.
C. La version éthiopienne. - C'est vers l'an 330 que l'histoire ecclésiastique place la conversion de l'Ethiopie ; la traduction des Ecritures ne pouvait manquer de suivre de près , et le même siècle vit paraître la version de la Bible en gheez, la langue sainte du pays. L'auteur de ce travail est inconnu. On ne trouve guère d'exemplaires complets de l'Ancien-Testament, quoique R. Bruce affirme en avoir vu plusieurs; il en existe cependant dans quelques-unes des principales bibliothèques de l'Europe. Il n'en a été jusqu'à ce jour imprimé que des fragments. Le texte suit les variantes du manuscrit alexandrin , et quelquefois il est entièrement conforme aux Septante. Le Nouveau -Testa ment a été imprimé en entier, et paraît avoir été traduit d'après la Peshito et la Velus Itala (voyez Ludolf, Gieseler, et les Voyages de Bruce).
D et E. Versions copte et thébaïque. - On possède encore la plus grande partie de l'Ancien-Testament dans les langues copte et thébaïque , qui étaient deux dialectes de l'ancienne Egypte ; il n'en a été imprimé que des fragments détachés. Elles datent du troisième ou du quatrième siècle; quelques-uns même les font dater du premier ou du deuxième siècle. Elles sont traduites d'après les Septante, et généralement conformes au manuscrit A. Les traducteurs sont inconnus.
F. Version gothique. - L'auteur de la version gothique est Ulphilas, évêque des Moeso-Goths, qui assista au concile de Constantinople en 359. Cette traduction fut faite d'après le grec, et a une très grande valeur critique. Malheureusement il n'en reste que des fragments. Le manuscrit le plus célèbre qu'on en possède est le Codex Argenteus, écrit en lettres d'argent, et conservé à la bibliothèque d'Upsal, en Suède; il ne contient que les quatre Evangiles, et encore. est-il incomplet.
G. Version arménienne. - On ne connaît guère de cette version que ce qui en a été dit plus haut. Elle date de 410. Miesrob, qui en est l'auteur , parait s'être servi des Septante de la recension alexandrine. Elle a été imprimée plusieurs fois : la Bible à Amsterdam, en 1666; le Nouveau-Testament seul, de 1668 à 1698.
H. Version géorgienne. - Elle a beaucoup de rapports avec la précédente, qui lui a probablement servi de base. On pense qu'elle appartient an sixième siècle. Elle a été imprimée à Moscou en 1743, et déjà auparavant quelques fragments en avaient été imprimés à Tiflis, avec des variantes provenant de la version slave.
I. Version slave ou slavonne. - Elle appartient au neuvième siècle ; on lui donne pour auteurs les fils d'un noble Grec, Léon , qui le premier prêcha l'Evangile aux Slavons. Bien qu'elle soit généralement rangée parmi les traductions issues des Septante, d'anciens témoignages portent qu'elle a eu pour base la version italique, et des travaux plus récents confirmeraient cette opinion. Le texte fut de bonne heure corrigé d'après des manuscrits grecs , et , sous ce rapport , elle a une valeur critique considérable. Elle fut imprimée en 1576, et a été, dès-lors souvent réimprimée fi Moscou.
§ 37. Versions faites d'après la Vulgate. - Des fragments détachés des saintes Ecritures furent successivement traduits en langue vulgaire parmi les Anglo-Saxons, et ils le furent presque toits d'après la Vulgate. Ainsi , Adhelm, premier évêque de Sherborn, traduisit les Psaumes en saxon (706); ainsi, évêque de Holy -Island (Northumberland), traduisit les quatre Évangiles. Vers la même époque à peu près (735) , Bède le vénérable traduisit de nombreuses portions de la Bible. Le roi Alfred entreprit, de son côté, une nouvelle traduction des Psaumes; mais il mourut (900) ayant à peine achevé la moitié de son travail. Aelfric de Cantorbéry traduisit le Pentateuque et quelques-uns des livres historiques. - C'est également à la Vulgate qu'il faut rattacher les diverses traductions qui furent faites de l'Ancien-Testament, en français, en italien et en espagnol, avant le seizième siècle. Enfin, Luther lui-même, dans sa traduction allemande de la Bible, se servit souvent de la version latine et en utilisa les données toutes les fois qu'elles étaient conformes au texte original.
§ 38. Le Pentateuque samaritain. - On doit le considérer plutôt comme une recension distincte que comme une traduction du texte hébreu. Eusèbe et Cyrille mentionnent différents exemplaires du Pentateuque samaritain; mais on a cru longtemps qu'il n'en existait plus un seul manuscrit. Au commencement du dix-septième siècle cependant, il en vint un de Constantinople à Paris. Usserius s'en procura plus tard six autres exemplaires, et Kennicott seize. On suppose que cette recension se fit à l'époque du schisme de Jéroboam , d'après les manuscrits du Pentateuque qui se trouvaient entre les mains des Israélites. Différentes raisons, peut-être politiques , empêchèrent les Juifs des dix tribus de faire le même travail pour les Psaumes de David et pour les écrits de Salomon bien qu'ils fussent très-répandus à cette époque.
Cette recension fut d'abord estimée fort au-delà de sa valeur réelle au point de vue critique; mais on en est bien revenu aujourd'hui , et il est constaté qu'elle n'est rien moins que supérieure an texte original. Les Septante paraissent l'avoir suivie de préférence à l'hébreu, dont , du reste , elle ne diffère sur aucun point capital. Gesenius, en plusieurs passages, adopte les variantes du Samaritain; voyez Gen. , IV, 8 , où il ajoute après : « Caïn dit à Abel son frère, » ces mots : « Allons aux champs ; » - Gen., XIV, 14., où il lit : il rassembla , au lieu de arma ; - Gen. , XXII , 13, où il supprime les mots : derrière lui; - Gen., XLIX, 14 , où la différence est dans les termes seulement, et non dans le sens, etc.
Le texte samaritain est d'une grande valeur pour fixer l'histoire des points-voyelles hébraïques et pour constater le bon état de conservation du texte actuel ; mais il ne pourrait servir de point de départ à un travail d'épuration et de rectification du texte original.
Les caractères samaritains sont très-probablement la forme primitive des lettres hébraïques.
On ne doit pas confondre le Pentateuque samaritain ancien avec la version plus moderne qui se trouve imprimée, ainsi que la précédente, dans les Bibles polyglottes, et qui n'est que la traduction littérale de l'hébreu dans l'idiome samaritain tel qu'on le parle de nos jours.
§ 39. Autres versions orientales.
A. Peshito. - La version syriaque des Ecritures fut faite probablement par les soins de ces hommes qui furent envoyés en Palestine par l'apôtre Jude et par Abgare, roi d'Edesse; c'est au moins ce que rapporte la tradition la plus ancienne; et tout concourt à en établir la vraisemblance et la probabilité. Il résulte de l'examen des caractères internes que les traducteurs étaient des Judéo-chrétiens, et qu'ils traduisirent l'Ancien-Testament directement d'après l'original , et non avec le secours d'une autre version intermédiaire. La Peshito contient tous les livres canoniques de l'Ancien-Testament et tous ceux du Nouveau, à l'exception de la deuxième épître de Pierre, de la deuxième et de la troisième de Jean , de celle de Jude et de l'Apocalypse. Le texte diffère de celui des diverses recensions de manuscrits dont il a été parlé précédemment, et qui toutes, successivement , ont cru pouvoir le compter comme leur appartenant. Le Nouveau-Testament a été imprimé pour la première fois à Venise, en 1552, et l'Ancien-Testament dans les Bibles polyglottes de Paris et de Londres.
Les caractères intérieurs et la tradition s'accordent pour faire remonter cette version au premier siècle. Elle a une grande valeur critique. C'est elle qui a servi de base aux versions arabes les plus anciennes et à la version perse des Evangiles, imprimée dans la Polyglotte de Londres.
B. Version philoxénienne, héractéenne, etc. La version philoxénienne (le Nouveau-Testament seulement) fut faite, d'après le grec, à l'époque et par les soins de Philoxène, évêque de Maberg, en Syrie, vers l'an 508. Il n'en reste pas un seul manuscrit, mais quelques-unes de ses leçons et variantes sont conservées dans un manuscrit, qui porte au Vatican le No 153. Dans les premières années du siècle suivant, Thomas d'Harkel ou d'Héraclée, successeur de Philoxène, se mit à réviser l'oeuvre de son prédécesseur et publia sa version en 616. Elle contient tout le Nouveau-Testament, à l'exception de l'Apocalypse. Le manuscrit le plus complet qu'on en possède appartenait précédemment à Ridley, et se trouve aujourd'hui au nouveau collège d'Oxford. La traduction est extrêmement littérale, et la pureté de l'idiome syriaque a dû plus d'une fois s'en ressentir, le style est sacrifié à l'exactitude.
Il y a encore une quatrième version syriaque : ce sont des leçons des Evangiles (Vatic. manuscrit 19). Le manuscrit porte la date de 1930 ; mais la traduction paraît appartenir au cinquième ou au septième siècle. Le langage est un mélange de caldéen et de syriaque. Les leçons appartiennent généralement à la recension occidentale. Ce manuscrit est quelquefois appelé la version de Jérusalem ou la version palestinienne syriaque.
C. Versions arabes. Les versions arabes de différents livres des Ecritures , telles qu'elles sont données dans les polyglottes de Paris et de Londres, ont été faites, d'après les Septante, par différents auteurs, entre le dixième et le douzième siècles. Les livres de Job, Chroniques, Juges, Ruth, Samuel et quelques autres ont été traduits d'après la Peshito.
D. Version persane. C'est aussi d'après la Peshito que fut faite la version persane des Evangiles, publiée dans la Polyglotte de Londres avec la traduction latine de Leclerc ; elle abonde en expressions arabes et doit être postérieure à Mahomet. Une autre traduction de la même portion des Ecritures fut publiée, en 1652, par Wheelock , mais n'a guère d'importance critique, non plus que la version plus récente faite en 1740 et 1741 par les soins de Nadir-Shah.
§ 40. Conclusion. - Il résulte de ce qui précède que le Pentateuque samaritain, les Septante, une partie de la Vulgate et la Peshito ont plus ou moins de valeur quant à ce qui concerne la détermination du texte original hébreu , mais que les autres versions issues de celles-ci n'ont , sous ce rapport du moins, aucune valeur, et ne peuvent servir qu'à fixer le texte des versions dont elles émanaient directement. Quant à ce qui regarde le Nouveau-Testament, toutes les versions faites directement d'après le grec ont une importance qui varie, cela se comprend , suivant les conditions générales dans lesquelles le travail a été fait et les soins qu'on y a apportés.
Les traductions modernes, et sous plus d'un rapport les anciennes, ne peuvent servir que comme guides pour l'interprétation.
(Voyez Le Long , Biblioth. sacra, éd. de Masch; et Horne, Introd., t. II.)
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