SECTION III. - Les manuscrits de l'Ecriture-Sainte. § 24 De l'âge des manuscrits. - Cette question a déjà été soulevée dans la mention qui a été faite de la date de plusieurs des manuscrits des Ecritures, et l'on a pu se demander comment il était possible de déterminer, d'une manière un peu exacte , l'époque à laquelle ils ont été écrits , surtout quand il s'agit, comme c'est le cas le plus souvent, de fragments isolés eu de manuscrits qui ont été exposés à des influences nombreuses, bien faites pour obscurcir et modifier tous les indices qui auraient pu mettre sur la trace de leur date et de leur origine.
Il y a cependant plusieurs moyens assez simples de fixer ces dates avec une certaine précision. D'abord elles sont quelquefois indiquées par le manuscrit lui-même, et, dans ce cas, si l'indication est de première main , sans rature ni correction, et que rien n'atténue la valeur de ce témoignage, on est généralement d'accord de le regarder comme décisif. Mais de pareilles suscriptions, fréquentes après le dixième siècle, ne se trouvent sur aucun manuscrit antérieur. D'autres fois, l'histoire d'un manuscrit a été conservée par une tradition qui ne laisse subsister aucun doute ; ainsi, le manuscrit Alexandrin (A) fut donné par Cyrille Lucar, patriarche de Constantinople, à Charles 1er, roi d'Angleterre, portant une inscription arabe fort ancienne, de laquelle il résulte qu'il fut écrit par une princesse égyptienne, Thécla , qui vivait peu de temps après le premier concile de Nicée (325). Cette tradition n'est contre dite par aucun indice extérieur, et les preuves internes la confirment.
Mais ordinairement la question est plus compliquée et ne peut se résoudre qu'après un examen approfondi du manuscrit lui-même; pour cela , il faut tenir compte de la substance sur laquelle est écrite le manuscrit, de la forme des lettres, et enfin du style et du caractère général de l'ouvrage.
§ 25. Des matériaux. - Quelques fragments de l'Ancien-Testament sont écrits sur des peaux apprêtées, rouges ou jaunes. Ces peaux étaient généralement calculées, choisies ou découpées, de manière à former un rouleau ou volume (Esaïe, VIII, 1. Jér., XXXVI, 2. Zach., V, 1), et à contenir une portion entière des saintes Ecritures, le Pentateuque ou les prophètes, par exemple. Quelques-uns des plus anciens manuscrits qui existent dans le monde sont des copies du Pentateuque sous cette forme.
Après les peaux préparées vint le parchemin, ainsi nommé de la ville de Pergame où on le travailla pour la première fois; il tient la seconde place en date comme en solidité. La plupart des manuscrits antérieurs au sixième siècle qui sont parvenus jusqu'à nous sont écrits sur du parchemin.
Quelquefois on se servait de tables de pierre ou de bois, appelées en latin caudices ou codices (troncs d'arbre, souches) (voyez Exode, XXXII, 15. Deut., VI, 9. Esaïe, XXX, 8. Habacuc, II, 2. Luc, I , 63. 2 Cor., III, 3) ; c'est de là que le mot codex (code) passa peu à peu dans le langage ordinaire pour désigner toute espèce de manuscrit. L'usage de ces tables était fréquent , surtout pour la conservation de documents importants, en matière de législation, par exemple, et c'est à cette circonstance qu'est dû le nom de code donné à un système de lois. Quelquefois on enduisait d'une espèce de cire la tablette de bois et l'on écrivait sur la cire; mais, quand on voulait assurer à l'écriture plus de durée, on marquait les caractères sur la tablette elle-même; dans l'un et l'autre cas, on se servait d'un poinçon communément appelé stylus. Le mot style a bientôt passé du propre, au figuré, et il a fini par signifier la manière d'écrire d'un auteur, indépendamment de toutes les circonstances matérielles de l'écriture.
Pendant longtemps, et c'était un progrès, on se servit du papyrus égyptien, travaillé de manière à lui conserver sa légèreté en lui donnant plus d'étendue et de solidité. La fabrication de cet objet atteignit chez les Romains une grande perfection. Néanmoins , déjà vers la fin du neuvième siècle, le papyrus fut presque totalement supprimé et remplacé par un papier (l'ancien nom resta) fait de la plante du coton, et assez semblable au papier de l'Inde et de la Chine; enfin, vers la fin du dixième siècle et au commencement du onzième , du vieux linge fut substitué dans les manufactures à toute autre matière première.
Les auteurs profanes mentionnent ces diverses espèces de matériaux. Hérodote (V, 58) parle de peaux de chèvres et de moutons grossièrement préparées, en usage chez les Ioniens. Pausanias raconte (IX, 31) qu'il a vu en Béotie les oeuvres d'Hésiode gravées sur du plomb. Les lois romaines étaient souvent gravées sur des plaques de cuivre, et Pline assure ( Hist. nat., XII, 21-29) que le papyrus était en usage déjà longtemps avant la guerre de Troie (1184 ans avant Jésus-Christ). Tite-Live enfin mentionne libros linteos, des livres écrits sur du papier de coton.
§ 26. La forme des lettres. - Les plus anciens manuscrits que l'on possède , avec une date un peu certaine , sont ceux que l'on a trouvés assez récemment dans les ruines de Pompéii et d'Herculanum. Ces villes furent détruites l'an 79 après Jésus-Christ. Les livres qu'on y a découverts sont donc tout au moins de cette époque. Ils consistent en feuilles de papyrus, unies avec de la gomme et roulées. L'écriture va d'un bout à l'autre du volume; les lettres sont capitales ou onciales, sans aucune séparation des mots ou des phrases , sans accents, sans ornements d'aucun genre et avec très peu de points d'arrêt. Ces livres, beaucoup plus anciens que tous les manuscrits des Saintes-Ecritures actuellement existants, nous montrent quelle était la manière d'écrire dans les temps les plus reculés.
On voit également à la bibliothèque impériale de Vienne la copie d'un ancien ouvrage de Dioscorides , écrite par la fille d'un des premiers empereurs de Constantinople et appartenant certainement au cinquième siècle. Il concorde, par la forme des lettres et par l'absence de tout ornement et de tout accent ou signe de ponctuation, avec les manuscrits d'Herculanum. Ces particularités sont des indices précieux dans la recherche de l'âge des manuscrits.
§ 27. Autres indices de l'âge des manuscrits. - Dans les premiers temps, on divisait le Nouveau-Testament en trois parties :
les Evangiles , les Epîtres et les Actes et la Révélation . Au troisième siècle, les Evangiles furent divisés en péricopes, ou fragments détachés. La première division qui en fut faite , celle par chapitres , est attribuée à Ammonius d'Alexandrie (sections d'Ammonius) ; elle a été revue et améliorée par Eusèbe de Césarée qui y adapta ses tables de référence , appelées de son nom les canons d'Eusèbe (315 à 340 après Jésus-Christ ). Une autre division des Evangiles, contemporaine de celle-ci, la division par titres, n'est pas parvenue jusqu'à nous : les sections en étaient plus grandes.
Dans la dernière partie du même siècle (360), Chrysostôme parle de l'usage d'écrire les manuscrits des saintes Ecritures sur les parchemins les plus fins et les plus tendres, et avec des lettres ornées §or ou d'argent.
Vers l'an 458, Euthalius, diacre d'Alexandrie , publia une édition des lettres de Paul, en y ajoutant des sommaires dont il n'est pas l'auteur , mais qu'il emprunta d'un autre. En 490, il divisa les Actes et les épîtres catholiques en sections et en composa lui-même les sommaires. Il fait connaître aussi qu'il introduisit les accents dans tous les manuscrits qui se firent sous sa direction; mais cette coutume ne devint guère générale que vers le sixième siècle. Ce fut lui qui ajouta à la fin des livres du Nouveau-Testament ces notices ou indications, quelquefois démenties par le contenu même du livre, et qui se sont propagées jusque dans nos versions. Pour rendre la lecture des manuscrits plus facile , spécialement dans le service public, il les divisa en stiques, ou deux mots qui signifient probablement la même chose, « ce qu'on peut lire sans reprendre haleine , » ou, selon d'autres, « la longueur d'une ligne ordinaire. » La stichométrie se répandit assez promptement. Néanmoins, au sixième siècle, on modifia ce système sans y renoncer complètement. On cessa de consacrer une ligne à chaque stique; on recommença à écrire dans toute la largeur du manuscrit, mais on marqua par des points la place des stiques. Ainsi, le Codex Cyprius, copié d'après un manuscrit stichométrique , a remplacé l'alinéa par un point; d'autres l'ont remplacé par un signe de croix. Ce fut le commencement de la ponctuation; bientôt d'autres signes s'ajoutèrent à celui-là, et l'on finit par ponctuer d'après le sens de la phrase et non plus d'après l'ordre des stiques.
Au septième siècle, des lectionnaires , c'est-à-dire des manuscrits spécialement destinés à l'usage du culte public et contenant le recueil des péricopes ou des parties du Nouveau-Testament qu'on avait coutume de lire dans les Eglises, se multiplièrent, et , soit dans l'intérêt des copistes , soit dans l'intérêt des lecteurs, on commença à donner aux lettres une forme plus oblongue, plus inclinée et moins grande, et à les relier entre elles. Au huitième siècle, ce changement fut encore plus marqué; ces caractères, appelés l'écriture cursive minuscule , étaient généralement en usage au dixième siècle. Au neuvième, le point d'interrogation et la virgule furent adoptés. La division actuelle des chapitres est du cardinal Hugues de Sainte-Chair, qui divisa ainsi la Vulgate au treizième siècle. Il partagea aussi les chapitres en versets; mais, sous ce rapport , son travail fut changé et corrigé par Robert Etienne en 1551.
§ 28. Résultats. - Des faits qui précèdent, on ne peut déduire que (les conclusions négatives. Il en résulte, en effet,
Qu'un manuscrit renfermant notre division actuelle de chapitres et de versets n'est pas antérieur au douzième siècle;
Qu'un manuscrit sur papier de coton n'est pas antérieur au onzième;
Qu'un manuscrit en lettres cursives n'est pas antérieur au dixième;
Qu'un manuscrit en lettres onciales, oblongues et inclinées, ou avec des virgules et des points d'interrogation, n'est pas antérieur au neuvième;
Qu'un manuscrit avec une ponctuation régulière ou marquant les stiques, avec des points ou avec des initiales ornées, n'est pas antérieur au huitième;
Qu'un manuscrit en lettres onciales, divisé en stiques et avec des accents, ou dans lequel se rencontrent les divisions, titres ou suscriptions d'Euthalius, ne remonte pas au-delà du cinquième;
Qu'un manuscrit avec les canons d'Eusèbe, enfin , n'est pas plus ancien que le quatrième.
Ces règles, on le voit, sont toutes négatives; on peut déterminer le terme extrême et non point l'âge exact. Pour obtenir une certitude plus grande, il faut tenir compte de circonstances très-minutieuses, d'orthographe, d'abréviation , etc., dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer ici, et qu'un sens critique très-exercé et l'habitude des manuscrits peuvent seuls faire comprendre. Encore s'y est-on trompé quelquefois.
(Voyez Steiger, Introd., § XIV, p. 78 et suivantes, Cellérier, Introd.)
§ 29. Histoire de la critique. - On a vu précédemment (§ 10) que le texte reçu du Nouveau-Testament avait pour base l'édition d'Erasme et celle des éditeurs de Complutum. Ces deux éditions reposaient elles-mêmes sur des manuscrits assez modernes, et l'on peut dire que comparativement, l'autorité du texte reçu n'est pas très-grande.
L'étude des manuscrits plus anciens fut un long travail et prit beaucoup d'années, Elle commença par la Bible polyglotte de Londres (1657) qui ajouta au texte primitif les variantes de seize nouveaux manuscrits et s'aida encore des anciennes versions. Curcellaeus examina de même plusieurs manuscrits pour son édition du Nouveau-Testament qui fut imprimée par Elzevir (1658). En 1675, le docteur Fell publia une nouvelle édition pour laquelle il mit à contribution quarante manuscrits qui n'avaient pas encore été examinés, et il chargea le docteur Millius d'un travail de révision des manuscrits et des versions du Nouveau-Testament plus complet encore que tout ce qu'on avait fait jusqu'alors. Le docteur Millius consacra trente années à ce travail, et publia, dans son édition , les variantes d'un très-grand nombre de manuscrits encore inconnus; et les leçons des premiers Pères de l'Eglise. En 1734, Jean-Albert Bengel, d'abord dans son Introductio , puis dans son Apparatus, continua l'oeuvre du docteur anglais, mais avec plus de circonspection; il ne se contenta pas de recueillir et de compter les leçons, il voulut aussi les peser. L'édition de Wettstein parut en 1751 en deux volumes; il conserva comme texte le texte reçu, et ajouta en notes les résultats de ses recherches toutes les fois que le texte lui paraissait fautif. Quarante ans plus tard (1796 à 1806), Griesbach appliqua au texte lui-même les règles et les principes qui avaient guidé Wettstein dans ses recherches, et y ajouta de nombreuses variantes que ses propres recherches lui avaient fait découvrir.
Pendant ce temps, la critique elle-même avait fait des progrès. Chrétien -Frédéric Matthaei, de Moscou, publiait une édition (1782-88) remarquable surtout par le caractère général de ses variantes, qui appartenaient presque toutes à ce que l'on appela par la suite la famille ou la recension constantinopolitaine , tandis qu'Alter à Vienne ( 1786-87) , Birch et Adler en Italie , Moldenhauer et Tychsen en Espagne, et d'autres ailleurs, s'occupaient de recueillir les documents qui devaient fournir à Griesbach les matériaux de son Apparatus criticus. Les résultats de ces recherches furent consignés dans l'édition du Nouveau-Testament que Birch publia à Copenhague.
§ 30. Classement des manuscrits. - En comparant les résultats généraux obtenus de son temps, Griesbach fut frappé d'un fait, qui avait déjà été observé par Bengel, puis par d'autres, mais sans qu'ils en eussent tiré des conclusions positives; c'est que certains manuscrits et certains Pères se distinguaient par des variantes d'un caractère tout-à-fait particulier, et qu'on pouvait, à cet égard , diviser les manuscrits en trois classes bien distinctes ou recensions; il appela la première Alexandrine; la seconde, Constantinopolitaine, et la troisième , Occidentale.
Cette découverte, à supposer qu'elle fût fondée, était de la plus haute importance; elle changeait la marche de la science et modifiait les résultats acquis. Ce n'était plus , en effet, la leçon appuyée par le plus grand nombre de manuscrits qui devait être préférée, mais celle qui avait eu sa faveur le plus grand nombre de familles.
Scholz, professeur de théologie catholique à Bonn, consacra plusieurs années à cette étude , et divisa les manuscrits grecs du Nouveau-Testament, d'abord en cinq classes, puis finalement en deux familles principales :
1° Le texte alexandrin , dans lequel il comprend ce que Griesbach et d'autres appellent la famille occidentale, et
2° le texte constantinopolitain, qu'il s'accorde avec Matthaei à préférer au premier, contrairement à l'opinion de Griesbach. Hahn et Lachmann s'accordent, en général, plutôt avec Scholz, mais attachent une importance plus grande. le premier, aux caractères internes d'évidence; le second, à l'antiquité des manuscrits.
Ajoutons cependant que si les dernières découvertes n'ont pas fait rejeter entièrement le principe de ces classifications , elles ont jeté des doutes sur leur légitimité. On se demande si les conclusions de Griesbach ne sont pas un exemple de plus de ces généralisations prématurées qui sont plutôt contraires que favorables aux progrès de la science. Ces doutes ont été corroborés dernièrement encore par les travaux du docteur Lawrence de Dublin. Le docteur Bentley émit le premier le désir qu'une édition du Nouveau-Testament fût publiée, basée non sur l'examen des manuscrits considérés comme familles, mais sur le texte des plus anciens manuscrits. Lachmann suivit en grande partie ce principe dans son travail , et le docteur Tregelles se propose de s'y attacher strictement dans son édition projetée du Nouveau-Testament. Il est permis de douter que ce principe, trop absolu comme les précédents, soit complètement à l'abri de tout reproche. Les premiers copistes étaient , aussi bien que le fuirent ceux qui suivirent, soumis à des influences locales. Des manuscrits en lettres cursives, bien que modernes, peuvent être des copies fort exactes de manuscrits beaucoup plus anciens qui sont maintenant perdus, et leur témoignage ne saurait être négligé; et s'il y a quelques raisons pour admettre des familles de manuscrits, on peut dire que l'âge, aussi bien que le nombre, peut être une source d'erreurs et d'illusions.
§ 31. Liste des manuscrits en lettres onciales du Nouveau-Testament (voyez p. 32 et 33 ). - Le lecteur comprendra sans peine dans cette liste l'abréviation des noms cités dans les paragraphes précédents, de Scholz, Matthaei, Tischendorf, Montfaucon , Lachmann, Griesbach, etc., ainsi que celle des mots Alexandrin , Constantinopolitain, palimpseste, etc. - La première colonne renferme les lettres par lesquelles on désigne par abréviation , dans l'usage ordinaire, les divers manuscrits. Quelquefois la même lettre sert pour plusieurs manuscrits, lorsque ceux-ci ne contiennent aucun fragment commun.
§ 32. Nombre total des manuscrits existants. - Outre les manuscrits en lettres onciales cités au tableau qui suit, Griesbach a noté deux cent trente-six manuscrits en écriture cursive (les No 1 à 236) dont il indique le chiffre, le contenu et la date; Matthaei en a compté vingt-trois de plus ( 237 à 259) - Scholz en a ajouté deux cent dix , qu'il a le premier collationnés en tout ou en partie ( 260 à 469). On trouvera sur ce sujet des détails dans les ouvrages spéciaux de Griesbach, Matthaei , Scholz , Tischendorf, Horne, Scott Porter, etc.
En fait de lectionnaires, Scholz énumère cent soixante-seize Evangiles et quarante-huit Actes et Epîtres (Praxapostoli). Des premiers, un seul, le No 135, est attribué par lui au sixième siècle; il place la date des autres entre le dixième et le quinzième.
Scholz compte en tout :
Manuscrits onciaux
Manuscrits cursifs.
Evangiles
27
469
Actes et Epîtres catholiques
8
192
Epîtres de Paul
9
246
Apocalypse
3
88
Beaucoup d'autres manuscrits existent qui n'ont jamais encore été étudiés; Horne en compte trente-et-un épars dans diverses bibliothèques de l'Angleterre, et d'autres sont connus sur le continent.
§ 33. Critique du texte de l'Ancien-Testament. - L'histoire du texte hébreu est beaucoup plus simple. Les mêmes travaux qui ont été entrepris pour le texte grec depuis deux siècles environ ont été faits à Tibériade, il y a mille ans, pour l'Ancien -Testament. Là les manuscrits existants furent examinés et comparés avec beaucoup de soin, et il en résulta un texte en général assez pur, qui est à peu près celui dont on se sert encore aujourd'hui. C'est celui qui est connu sous le nom de texte massorétique. Les travaux plus récents qui ont été faits n'ont abouti qu'à maintenir, en général , ses leçons. Lorsque l'influence du mahométisme eut obligé les Juifs à se disperser de nouveau, leurs savants émigrèrent vers l'Occident, en Espagne , en Italie et dans l'Europe centrale, emportant avec eux le texte massorétique des Ecritures, et avec le temps ils en firent de nombreuses éditions (si l'on peut s'exprimer ainsi en parlant de manuscrits) pour les besoins de leurs coreligionnaires. La valeur de ces éditions dépend naturellement des soins qu'on y apporta. En fait, on est d'accord à préférer les manuscrits espagnols; les italiens viennent ensuite ; puis les manuscrits allemands, qui sont les moins exacts.
Une preuve de la lenteur avec laquelle se font les progrès scientifiques , c'est que Buxtorf, un des plus savants hébraïsants qui aient existé, soutenait au dix-septième siècle la complète uniformité de tous les manuscrits du texte hébreu. Cappelle (1650) fut le premier qui combattit cette erreur de fait, et l'évêque Walton , éditeur de la Polyglotte de Londres, s'étant rangé du côté de Cappelle, posa les fondements des études critiques qui devaient suivre. Dès-lors on se mit avec vigueur à la recherche des manuscrits hébraïques, et les résultats de ces travaux furent la publication d'un texte de l'Ancien-Testament plus exact et plus pur. En 1 1667, le rabbin Athias, imprimeur à Amsterdam, publia une Bible hébraïque d'après divers manuscrits et d'autres éditions imprimées. En 1690, Jablonski fit paraître à Berlin une édition critique, et en 1705 parut à Amsterdam l'édition si admirablement exacte de Van der Hooght , dont le texte repose sur celui d'Athias, avec les leçons massorétiques en marge et d'autres variantes à la fin.
En 1709, Opitz, à Kiel , et, en 1720, 1. H. Michaélis, à Halle, publièrent aussi de bonnes éditions critiques. De 1746 à 1753, Houbigant donna à Paris sa splendide édition en quatre volumes in-folio, dont la valeur cependant est diminuée par le grand nombre de corrections hasardées qu'il a mêlées à ses notes et à sa traduction. La même année, Kennicott fit paraître sa première dissertation sur l'état du texte hébreu dans les Bibles imprimées; son édition de la Bible parut à Oxford de 1776 à 1780 : c'était le texte de Van der Hooght, mais avec des variantes nombreuses puisées dans six cent quatre-vingt-douze autorités différentes, manuscrits, éditions et citations rabbiniques. De Rossi, de Parme , publia, de 1784 à 88 , cinq volumes d'extraits de manuscrits hébreux; et, en 1793, les plus importantes variantes de Kennicott et de Rossi furent publiées à Leipsick par Doederlein et Meisner, puis, plus tard encore à Vienne , par Jahn, en 1806; elles le furent également, en Angleterre, par Boothroyd (1810 à 1816).
Le résultat de tous ces travaux, c'est qu'il n'y a pour le texte hébreu qu'une seule classe de manuscrits, celle des massorètes, et que l'ensemble des variantes qu'elle présente n'excède ni en nombre ni en valeur l'importance des variantes que présente une seule des familles de manuscrits du Nouveau-Testament grec. On peut désirer qu'il se fasse une édition de la Bible hébraïque basée sur les leçons les plus anciennes; mais avec les résultats obtenus jusqu'ici , ou peut prévoir aussi que ce travail serait plus curieux qu'important.
La grande uniformité des manuscrits hébraïques rend leur classification moins opportune que dans le cas des manuscrits du Nouveau-Testament. Kennicott en mentionne six cent trente, dont deux cent cinquante-huit ont été entièrement examinés par lui , les autres seulement en partie. De Rossi en compulsa sept-cent-cinquante-et-un , dont dix-sept n'avaient pas encore été collationnés. Beaucoup d'autres existent, sur lesquels aucun travail n'a encore été fait (voyez Jahn, Bibl. hébr., vol. IV. Append.).
Quoiqu'il n'y ait qu'une seule recension proprement dite, il semble cependant qu'au dixième siècle les Juifs de Babylone aient eu des variantes particulières, et que ceux de Tibériade en aient eu d'autres. De là est venue la distinction des manuscrits en deux familles, l'orientale et l'occidentale. L'évêque Walton , dans sa Polyglotte, a indiqué les différences sur lesquelles est basée cette distinction. Ce sont des différences de lettres, au nombre d'environ deux cent vingt, dont aucune n'affecte matériellement le sens , et des différences de points-voyelles s'élevant à huit cent soixante environ. Quant aux premières, nos éditions imprimées diffèrent du texte oriental en cinquante-cinq endroits; quant aux secondes, elles suivent la ponctuation massorétique telle qu'elle a été fixée à Tibériade.
Quelques exemplaires spéciaux furent longtemps remarqués et connus pour leur minutieuse exactitude ; mais ils ne nous sont plus connus aujourd'hui que par leur réputation traditionnelle.
§ 34. Observation importante. - Une preuve sommaire, mais bien remarquable, de l'intégrité du texte biblique actuel, c'est ce fait que les Juifs sont d'accord avec les chrétiens sur la lettre de l'Ancien-Testament, et que les catholiques-romains le sont avec les protestants sur la lettre du Nouveau.
(Voyez Horne, vol. II; Haevernick, Einl. in das A. T. ; Steiger, Introduction au Nouveau-Testament; Cellérier, et la traduction de Davidson , tome I. )
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