DOSSIER SPECIAL

"AMEN"

" Le monde n'est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu'elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu'au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables... Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains. "

Hannah Arendt

AMEN ravive les plaies de l'Eglise sur l'Holocauste !

 

Le but en préparant ce dossier n'est pas de dénoncer des individus. Des personnes de tous bords ont collaboré ; des personnes de tous bords - catholiques, protestants, athées, voire SS comme Kurt Gerstein - ont entrepris des actions individuelles ; d'autres ont entrepris des actions "collectives", ceci afin de sauver le maximum de vies humaines. Au milieu de cette barbarie, malgré l'inhumanité qui régnait, des voix se sont élevées !

Mais une voix, une seule, celle qui aurait dû crier, celle qui aurait dû, avant toutes les autres, s'exprimer, cette voix là s'est tue ! Non un individu mais le système qu'il représente à préférer se taire malgré toutes les informations, toutes les preuves mêmes qu'il avait en sa possession.

Ne déplaçons pas la problématique sur une question d'affiche qui semble gêner quelques personnes. Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France, a raison quand il déclare : " Je suis agacé par ces protestations autour de l'affiche. Pour ma part, je la trouve belle et forte, et elle évoque la problématique du film. On ne parle que de l'affiche alors qu'il faut parler du film. Il peut déclencher une juste polémique sur l'attitude du Vatican. " (1)

Pourquoi un tel silence ?

Les autorités vaticanes ont souvent prétexté qu'une prise de position aurait aggravé la condition des juifs :
" … si le pape Pie XII s'est bien abstenu de " déclarations publiques extrêmement brutales ", c'était pour éviter que " les persécutions contre les juifs ne redoublent dans toute l'Europe " (2).
Mais cela est difficilement défendable car leur condition ne pouvait être pire.

Jean-Arnold de Clermont de poursuivre :
" Dans certaines situations, il faut savoir proclamer un non absolu. " Au lieu de se comporter en homme d'Eglise, Pie XII opta pour la casquette de l'homme d'Etat. " L'Eglise catholique se veut universelle, pourvue d'une diplomatie d'Etat et d'ambassadeurs - les nonces... Elle entretient avec les pays des relations d'Etat à Etat. Il y a là une confusion entre pouvoir spirituel et pouvoir politique. Ambiguïté inacceptable. " (3)
Le patriarche orthodoxe de Constantinople, lui, n'avait pas hésité à adresser à tous ses évêques dans les Balkans et en Europe centrale une note leur enjoignant d'aider les juifs par tous les moyens et de proclamer dans les églises que cacher des juifs était un devoir sacré. (4)

Certains historiens mettent en avant d'autres raisons que celles invoquées par le Vatican. Mais avant de les aborder essayant de comprendre comment fonctionne cette " machine Vatican ".

L'ambassadeur de Grande-Bretagne, Sir d'Arcy Osborne, a pu déclarer :
" ...le Vatican baigne dans une atmosphère de supranationalité et d'universalité... et en outre il participe d'une quatrième dimension. Il est pour ainsi dire hors du temps... Le Vatican comptant en siècles et planifiant pour l'éternité, sa politique apparaît nécessairement impénétrable, confuse, et à l'occasion condamnable... "

Jacques Mitterrand, quant à lui, affirmait :
" L'évolution politique du monde a conduit l'Eglise du XXe siècle à affirmer publiquement qu'elle n'était liée à aucune civilisation. Certains ont considéré que le recul de l'esprit religieux chez les peuples européens avait amené Rome à délaisser les vieilles nations de l'Occident et à rechercher, en Amérique et en Afrique, les assises d'une nation désormais dépourvue d'avenir en Europe.
Il n'en est rien. Soucieux d'étendre son rayonnement dans les pays neufs et plus particulièrement au sein des peuples colonisés accédant à leur indépendance, le catholicisme n'a renoncé à aucun des objectifs occidentaux qu'il s'était fixés dès le Moyen-Age.
Toute la politique du Saint-Siège en Europe demeure imprégnée du grand rêve de la construction d'un Empire d'Occident dépendant de Rome et soumettant enfin à sa loi les pays slaves que le schisme de l'an 1000 a arrachés du giron de l'Eglise. " (5)

Ainsi il y a donc bien confusion entre pouvoir spirituel et pouvoir politique, et on voit bien que les deux systèmes s'interpénètrent. Mais des deux casquettes, Pie XII opta en effet pour la casquette de l'homme d'Etat.
Parmi les raisons invoquées :
" L'anticommunisme du pape, qui, par stratégie vis-à-vis de l'URSS, aurait préféré réintégrer l'Allemagne dans le jeu diplomatique comme rempart à Staline et aux bolcheviks. " (6)
" Le Vatican, avec son génie de la désinformation, a trop camouflé les faits, il a, par des alibis commodes, trop anesthésié les "bonnes consciences" pour qu'on ne s'acharne pas à rétablir la vérité : l'Holocauste n'aurait pas eu lieu sans la complicité tacite d'un Pie XII avec ceux en qui il n'a voulu voir qu'un rempart efficace contre le bolchévisme et qu'alors, il a toujours ménagés. " (7)
" Contrairement à ce que les historiens officiels de l'Eglise ont prétendu, aussi bien le Vatican que les différentes hiérarchies locales en Europe occupée n'ont jamais élevé la voix contre la barbarie nazie. Pire, si Pie XII, "comme son prédécesseur, a ménagé Mussolini et Hitler, c'est parce qu'il envisageait l'avenir en leur compagnie. Pour lui, le pacte germano-soviétique était un leurre et bientôt les forces armées de l'Axe écraseraient la Grande-Bretagne protestante et l'URSS athée... Le chef de la catholicité rêvait d'une Europe à l'image de l'Allemagne : national-socialiste, chrétienne et débarrassée de la peste judéo-communiste... " (8)

Raison d'Etat !
D'où bien des incompréhensions :
" Nous attendions que la plus haute autorité spirituelle de ce temps voulût bien condamner en termes clairs les entreprises des dictatures, regrette Albert Camus le lendemain de Noël 1944 dans Combat. Je dis "en termes clairs". " (9)
Et en 1951, le très catholique François Mauriac écrivait : " Nous n'avons pas eu la consolation d'entendre le successeur du Galiléen Simon Pierre condamner clairement, nettement, et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables "frères du Seigneur". " (10)

Question délicate !
Imaginons un instant que vous ayez l'opportunité de falsifier quelques documents historiques afin de vous approprier un titre, une primauté - partagée à la base par plusieurs personnes - et que grâce à ces falsifications vous deveniez le représentant officiel de la chrétienté. Quelques siècles passent et tout le monde a oublié ce que votre prédécesseur a fait et la manière dont il s'y est pris. De par votre titre, vous devenez normalement le protecteur de " la veuve et de l'orphelin ". Tout du moins, le monde s'attend à ce que vous le fassiez. Mais problème, vous avez beau avoir le titre de Vicarius Filii Dei (Vicaire du Fils de Dieu), vous n'en êtes pas moins une sorte d'usurpateur.

Démonstration

Dans la Bible, Jésus interpelle Simon en affirmant : Tu es une pierre. Autrement dit, tu es devenu, par ta profession de foi un élément solide. Et sur ce roc je bâtirai mon Eglise. En d'autres termes, c'est par le renouvellement constant de ta profession de foi par les chrétiens de toutes les générations que l'édification de mon Eglise sera assurée. L'Eglise n'est pas bâtie sur la personne de Pierre, mais sur son attitude à l'égard de Jésus qui est l'attitude-type de la foi chrétienne. Pierre est le premier à faire la profession de foi, au fondement même de la religion chrétienne : " Tu es le Christ ", et méritait bien d'être appelé pierre. A ce titre, il demeure le prototype des " pierres " devant servir à édifier l'Eglise.
Jésus-Christ s'est déclaré comme étant lui-même la pierre, décrite par les prophètes, et il désigne tous les chrétiens sincères qui s'approchent de lui par la foi comme autant de " pierres vivantes ". Paul, Pierre et Jean enseignent cette même vérité.
Ainsi donc, nous n'avons eu la consolation d'entendre quelques pierres, condamner clairement, nettement la mise en croix de ces innombrables "frères du Seigneur".

PIE XII, LE RETOUR

" À l'aube du troisième millénaire du christianisme, l'Église de Pie XII est de retour. Elle s'affirme à nouveau, de manière tantôt flagrante, tantôt clandestine, et remet à l'honneur un modèle pyramidal : celui de l'homme en robe blanche qui dicte sa volonté depuis la solitude de son pinacle. Au crépuscule du long règne de Jean-Paul II, l'Église donne une impression généralisée de dysfonctionnement malgré le rôle historique du pape dans l'effondrement de la tyrannie communiste en Pologne et son désir ardent d'aborder le prochain millénaire la conscience purifiée. " (11)

Anatole FRANCE déclarait autrefois :
" Il ne faut pas dire de l'Eglise qu'autrefois elle faisait exécuter ses sentences par la justice laïque et qu'elle y a renoncé. Elle ne renonce jamais. Il ne faut pas dire qu'elle a changé. Elle ne change jamais... Aujourd'hui, comme autrefois, elle s'attribue une puissance temporelle directe et indirecte, ce qu'elle appelle proprement le pouvoir pénal, politique et corporel…
Ce que l'Eglise pensait il y a dix siècles, elle le pense encore. Parlant comme son antique prédécesseur, saint Léon le Grand, Pie IX a dit dans l'encyclique Quanta Cura. "La puissance a été donnée aux Empires non seulement pour le gouvernement du monde, mais surtout pour porter aide à l'Eglise. " (12)

Et le Syllabus qui accompagnait l'encyclique d'ajouter :
"...Anathème à qui dira :
L'Eglise n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir temporel direct ou indirect. "

Pie XII, lors d'un discours public retransmis dans La Croix du 22 décembre 1938, faisait cette déclaration étonnante :
" s'il y a un régime totalitaire - totalitaire de fait et de droit -, c'est le régime de l'Eglise, parce que l'homme appartient totalement à l'Eglise."

Au cours d'une conversation qu'il eut avec le docteur Nussbaum, secrétaire général de l'Association internationale pour la liberté religieuse, le docteur demanda à Pie XII lui-même : " J'aimerais bien savoir,... quelle serait votre attitude s'il y avait dans le monde un Etat qui vous fût entièrement dévoué, qui le fût à un point tel qu'il ne fasse rien sans votre approbation. Nous donneriez-vous, en ce cas, la liberté religieuse ? "
Le Pape fit une réponse immédiate. Il déclara vivement et sans hésitation : "Vous savez bien, mon cher docteur, que nous croyons avoir la Vérité... nous ne pouvons pas accorder à l'erreur les mêmes droits qu'à la vérité." (13)

Depuis la seconde guerre mondiale, l'Eglise s'affirme sur la scène internationale. Le pape n'hésite pas à appeler à l'Unité des Etats, comme Pie XII l'a fait en 1951 en déclarant :
" L'union des Etats est un postulat naturel, un fait qui s'impose à eux. "
Non seulement les catholiques ont un " devoir de conscience " de participer à l'organisation de la communauté internationale, mais l'Eglise elle-même en tant qu'institution est vue comme " nécessaire à l'édification de la communauté humaine " (Noël 1955).
Ainsi s'exprimait Pierre PFLIMLIN, ancien président du Parlement Européen :
" L'idée européenne, surgie des ruines de la guerre, suscita partout une adhésion enthousiaste.
Mes réflexions me conduisent ainsi à reconnaître que la seule source authentique et profonde de l'unité est d'ordre spirituel. Ce n'est pas un hasard si les hommes d'Etats reconnus comme les "Pères fondateurs" de l'Europe - Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi - appartenaient à la même famille politique, la démocratie-chrétienne. "
Le pape Jean-Paul II, dans son discours du 22 décembre 1989, déclarait :
" L'Europe doit devenir une maison dans laquelle chaque peuple sera reconnu avec sa propre identité... " Il continuait en affirmant les 14 et 15 août 1991 qu'" une nouvelle époque missionnaire s'ouvre. "
Mais de quelle maison s'agit-il ? Quelle est la vision du Vatican quant à un éventuel gouvernement mondial ?

Depuis longtemps déjà on entend tout haut la revendication d'un pouvoir central, d'une personnalité, qui pourra mettre fin aux foyers de crises de notre monde.
H. G. Wells exprima son sentiment : " Il est nécessaire que nous trouvions un conducteur capable de diriger tout cela. Il faut qu'il soit doté d'une intelligence qui dépasse le plus haut niveau humain ".
En 1990, Malachi MARTIN, ancien jésuite et professeur à l'Université grégorienne pontificale du Vatican, a consacré un ouvrage important à ce sujet, Les clés de ce sang, qui porte comme sous titre " La lutte pour la domination du monde entre le pape Jean-Paul II, Mikhaïl Gorbatchev et l'Occident capitaliste. "


Pour lui, il n'y a plus aucun doute :
" La grande compétition entre ces trois forces pour établir le premier système mondial de gouvernement qui ait jamais existé dans la société des nations, a déjà commencé [...] En fait, le dessein visé par le pontificat de Jean-Paul II consiste précisément à remporter la victoire. "
Et il continue en ces termes : " Jean-Paul II dit que les hommes n'ont pas une seule chance d'établir un système politique viable à moins que ce ne soit sur la base d'un christianisme catholique romain. " (14)

Mais, pour le Vatican, le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat a ruiné la moralité de l'Occident et doit donc être aboli, si l'on veut mettre sur pied un ordre moral et spirituel durable dans le monde. C'est la pape, en tant que vicaire du Christ, la plus haute autorité sur la terre, qui a reçu de Dieu cette mission particulière.
Enfin d'après Malachi Martin, cela concorde parfaitement avec l'ancienne prophétie de Fatima, selon laquelle une catastrophe d'ordre cosmique sur l'Europe de l'Est doit anéantir tous les espoirs des communistes et des capitalistes de dominer le monde. De cette catastrophe, le pape devait émerger comme " le serviteur du grand dessein de Dieu. "

On peut maintenant se représenter ce qui se passerait avec les minorités d'opposition dans un nouveau gouvernement mondial, sous une dictature totalitaire, et sous la conduite religieuse de la papauté. Nous rappellerons ici les mots du collaborateur du pape, le professeur Malachi Martin :
" Je crois au fait que le sang coulera, et que des nations devront être exterminées. A certains endroits, comme c'est le cas dans le Golfe Persique, il y aura des guerres... Mais Jean Paul II croit fermement que les changements dans l'histoire sont conduits par Dieu et Marie, mère de Dieu. Il pense par ailleurs que c'est maintenant le temps du changement de l'humanité, et qu'il aura lieu avant la fin de ce millénaire. " (14)

L.T.


(1) L'Express, 21 février 2002, p. 9.
(2) Le Monde, Jeudi 21 février 2002, p. 11. Déclaration de Me Wallerand de Saint-Just.
(3) L'Express, 21 février 2002, p. 12.
(4) Voir l'ouvrage de Zalman Shragai, Le voyage sauvetage au grand rabbin, éd. Herzog, Jérusalem, 1947).
(5) Voir l'ouvrage de Jacques Mitterrand, La politique extérieure du Vatican, 1959, p. 101.
(6) Libération, 27 février 2002, p. 3. Déclaration de Marie-Anne Matard-Bonucci, historienne, spécialiste de l'antisémitisme.
(7) Jean Mathieu-Rosay, prêtre historien, 4ème de couverture de l'ouvrage d'Henri FABRE, L'Eglise catholique face au fascisme et au nazisme, 1994.
(8) Publicité pour l'ouvrage d'Henri FABRE (auteur catholique), L'Eglise catholique face au fascisme et au nazisme, 1994, Editions EPO.
Voir aussi Alfred Grosser, postface à l'ouvrage de Saul Friedlander, Pie XII et le IIIe Reich, Editions du Seuil, 1964, p. 224 :
" Tous les documents concordent pour montrer l'Eglise coopérant avec le régime hitlérien et ne prenant vraiment ses distances que dans la mesure où des catholiques ou le catholicisme se trouvaient attaqués par lui. Au moment où le Concordat imposait aux évêques, en juillet 1933, un serment d'allégeance au gouvernement, celui-ci avait déjà ouvert des camps de concentration. "
(9) L'Express, 21 février 2002, p. 10.
(10) L'Express, 21 février 2002, p. 9.
(11) John Cornwell, Le Pape et Hitler, 1999, p. 20.
(12) Anatole France, L'Eglise et la République, 1964, p. 26, 29.
(13) Annuaire Protestant, Année 1961, p. XII-XIII.
(14) Malachi Martin, The Keys of this Blood, 1990, p. 492.
(15) Interview donnée à la Radio Canadienne.

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