SECTION III. - La Bible est une révélation graduelle et progressive.
§ 69. Progression, non dans la vérité, mais dans sa manifestation. Comme la nature qui est toujours la même, mais dont le soleil, au fur et à mesure qu'il dissipe les ténèbres de la nuit et qu'il s'élève sur l'horizon, révèle successivement les beautés ensevelies, les plus hautes montagnes, puis les coteaux et les vallées, de même la vérité divine est immuable, les conseils de Dieu demeurent fermes, mais la révélation qui nous en est faite est graduelle; la lumière du soleil de justice s'élève peu à peu, progressivement, et l'humanité s'éclaire, siècle après siècle, de révélations qui l'eussent éblouie et consumée si elles lui eussent été données dans tout leur éclat, alors qu'elle était encore plongée dans la nuit de l'ignorance et du péché.
La doctrine de l'unité de Dieu est enseignée dès le commencement, en même temps que certaines expressions semblent indiquer une pluralité de personnes dans la divinité (Gen., 1, 26; III, 22. Ps. LVIII, 11. Prov., IX, 10 (texte hébreu), etc.). La triple bénédiction de Nomb., VI , 22-27, et l'invocation des chérubins (Esaïe, VI, 3, cf. XLVIII, 16. Jér., VII, 4; XXII, 29) sont très remarquables quand on les rapproche de la bénédiction apostolique. L'ange de l'Eternel, qui joue un si grand rôle dans l'Ancien-Testament (voyez surtout Gen., XXXII, 28-30), apparaît toujours comme Dieu manifesté en chair; les auteurs juifs reconnaissaient distinctement en lui le Messie (Mal., III, 1 ). Peu à peu la lumière se fait plus distincte chez les prophètes (Esaïe, IX , 6. Michée, V, 2. Zach., XIII , 7), et le Nouveau-Testament achève de la révéler pleinement. - Il en est de même du Saint-Esprit; son influence est reconnue dans l'Ancien-Testament, et d'autant plus qu'on approche du siècle apostolique; mais ce n'est que dans le Nouveau-Testament que nous trouvons des vues claires et distinctes sur son oeuvre et sa personnalité.
Cette progression est plus frappante encore en ce qui concerne le plan du salut et la personne de Jésus-Christ. Sa venue fait l'objet de la première promesse, et bien qu'en termes mystérieux elle est annoncée d'une manière incontestable et incontestée dès les premiers jours du monde (Gen., III, 15). Le premier acte de culte digne de ce nom est un type, un sacrifice; il exprime, d'une manière extérieure, la confiance du fidèle dans l'accomplissement de la première promesse. Il devait y avoir triomphe par la mort et substitution de l'innocent au coupable.
Les promesses et les types se multiplient avec les siècles qui s'écoulent. Enoch, Noé, Melchisédec, Job, sont des types et des prédictions vivantes; bien plus encore le sont Abraham et ses descendants immédiats.
Sous Moïse et par sa législation, de nombreuses institutions typiques, hommes, choses, places, cérémonies, sont établies, et le but en est plus nettement indiqué. Les prophéties aussi deviennent plus claires et plus fréquentes (Nomb., XXIV, 17. Deut., XVIII, 15, etc.)
Pendant la période, qui s'étend de Samuel à Malachie et qui comprend plus de six cents années, nous avons une succession de prophètes qui annoncent l'oeuvre de la personne du Messie avec une clarté toujours croissante; ils prédisent aussi l'effusion du Saint-Esprit et le triomphe général de la vérité, deux points sur lesquels les révélations précédentes gardent le silence (1 Pierre, I , 11. Ps. LXVIII, 18. Joël, II, 28. Zach., XIV, 9. Esaïe, LIII, passim; LXI, 11).
Nulle part les prophètes, au milieu des développements progressifs qu'ils donnent à l'idée messianique, ne vont au-delà des termes de la première promesse , qui avait pour but de faire entrevoir à l'homme l'espérance d'une complète rédemption; mais ils sont plus précis, plus clairs, plus détaillés; ils disent davantage ce que sera la rédemption et ce qu'elle coûtera. Les Evangiles, sous ce rapport , sont aussi en avant des prophètes que ceux-ci étaient en avant de la loi; ils ne disent pas plus, mais ils exposent plus complètement ce n'est plus un pressentiment, c'est de l'histoire.
§ 70. Progression morale. - La même gradation qu'on remarque dans le développement de la doctrine, on peut la remarquer dans l'exposé de la vérité pratique. La révélation rayonne de tous côtés à la fois. La même lumière qui éclaire le printemps et l'automne de la vérité, sa floraison et sa maturité, éclaire également le chemin qui y mène. La loi fait connaître la volonté de Dieu plus complètement que la dispensation qui l'a précédée, et les prophètes, déjà bien plus spiritualistes, occupent une place intermédiaire entre la loi et l'Evangile. Ils insistent davantage sur le principe de la sainteté personnelle, qu'ils distinguent de la pureté légale et cérémonielle, et les promesses qui servent de sanction à leurs paroles ont moins rapport aux bénédictions temporelles. Les préceptes de la loi sont secs et rapides ; les peines de la transgression sont de la plus extrême sévérité. Dans les prophètes , les mêmes commandements sont présentés sous des formes plus douces et plus attrayantes. Des reflets d'une splendeur éloignée, cachée encore , viennent éclairer les figures sombres et froides de la loi, et les transfigurent en leur propre image. La loi disait : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Rien ne peut excéder en étendue la grandeur de ce commandement. Les prophètes néanmoins l'exposent avec plus de force encore, l'animent d'un nouvel esprit et en dirigent l'application vers une sainteté supérieure. Entre leurs mains cette règle de conduite , toujours identiquement la même, revêt un caractère plus lumineux et plus pratique.
Les psaumes en particulier ont ce puissant cachet de spiritualité qui doit rendre la piété vivante, et sous ce rapport ils sont un progrès considérable sur toutes les institutions légales du culte , qui ne renferment, à proprement parler, aucun détail, aucune prescription relative à la dévotion individuelle.
Que l'on compare encore , si l'on veut , les préceptes du Deutéronome sur la repentance, avec ce que les prophètes nous disent sur le même sujet ( Deut., XXX, 1-6. Ezéch., XVIII. Esaïe, LVII ) ; ou bien les prescriptions concernant les rapports des Juifs avec les nations étrangères et les relations du monde en général avec celui qui est venu pour éclairer les Gentils aussi bien que le peuple d'Israël (Esaïe, LXVI, 21 ) ; et l'on sera frappé des progrès de spiritualité et de lumière qui se montrent sur l'horizon de la vérité à mesure qu'on approche du moment où le jour va paraître. On reconnaîtra, dans la sage lenteur de cette révélation progressive , celui qui dirige toutes choses d'après un conseil déterminé, et qui, maître des temps, accomplit son oeuvre, non par des actes soudains de puissance et de force, mais graduellement, tranquillement, soit qu'il s'agisse de la succession des saisons , des dispensations de sa providence ou de la manifestation de sa volonté.
§ 71. Ordre dans lequel doivent être lus les livres de la Bible. - Ce qu'on vient de dire de la progression suivie dans la révélation des vérités et des commandements bibliques ne doit pas être perdu de vue quand on étudie le livre saint ; il est évident que la manière la plus profitable d'en étudier les différentes parties, c'est de les lire dans l'ordre même dans lequel Dieu les a dictés à l'humanité. Un arrangement chronologique de l'histoire sainte , des psaumes et des prophètes, est donc nécessaire à l'intelligence de l'ensemble de la révélation ; il ne l'est pas moins pour l'intelligence des plans et des conseils de Dieu se dévoilant au monde peu à peu, de siècle en siècle , de contrée en contrée.
Abstraction faite même de ce développement graduel de la vérité, l'ordre chronologique est souvent essentiel à observer pour une juste appréciation de la vérité. Que l'on compare ainsi les deux premières épîtres de Paul, celles aux Thessaloniciens, avec les deux dernières, celles à Timothée, qui semblent les toucher et les suivre immédiatement d'après l'arrangement adopté par nos Bibles, et l'on verra les changements que plusieurs années de travail ont apporté dans les sentiments de l'Apôtre et dans l'état de l'Eglise. De même si , dans l'énumération des souffrances de l'Apôtre (2 Cor., XI) , on se rappelle que cette épître n'est nullement une des dernières, et qu'il faut ajouter encore à ce tableau l'emprisonnement de deux années de Paul à Jérusalem, à Césarée, puis à Rome, son naufrage, son martyre enfin, l'on se fera des peines de son ministère une idée plus complète et plus juste que par une simple lecture , et l'on comprendra mieux encore comment il peut invoquer toutes ces tribulations en témoignage de sa sincérité.
Voltaire se moque beaucoup des glorieuses espérances que nourrissait un petit peuple, méprisé des autres nations, et dont le territoire n'excédait pas 70 lieues de longueur. S'il eût fait attention à la progression chronologique, ses remarques eussent été plus frappantes encore, mais elles se seraient en même temps heurtées contre un fait qui leur enlève ce qui paraissait leur donner le plus de force ; en effet , c'est à mesure que la nation décline que les prophètes semblent l'élever davantage; la prophétie est la plus confiante , la plus claire, la plus compréhensible , alors que la nation semble le plus près d'être anéantie. Quand elle est faible, c'est alors qu'elle est forte. Les promesses sont toutes spirituelles. On ne peut donc pas dire que les oracles inspirés aient eu leur source dans la vanité nationale ; peut-on dire qu'ils auront leur accomplissement dans un relèvement national et matériel ?
§ 72. Les diverses dispensations. - On distingue ordinairement quatre économies principales , quatre dispensations différentes, chaque dispensation représentant les voies de Dieu envers les hommes sous une forme particulière et de plus en plus spirituelle, soit quant à la portion de vérité qu'elle révèle, soit quant aux règles de culte et de conduite qu'elle prescrit.
La dispensation adamique ne dure que ce que dura l'innocence dans ce monde , et n'est guère l'objet d'aucune révélation. L'homme aime Dieu ; il n'a pas besoin que Dieu lui fasse connaître ni ce qu'il est, ni ce qu'il veut. Un seul commandement est destiné à consacrer l'obéissance de l'homme.
La dispensation patriarcale dura deux mille cinq cents ans; l'histoire en est racontée depuis Gen. , III, jusqu'à Exode, XX. Ce nom désigne une époque où les chefs de famille étaient en même temps les gouverneurs et les maîtres de la peuplade souvent nombreuse à laquelle ils avaient donné le jour. Adam , Seth, Enoch, Noé, avant le déluge; après le déluge, Job, Melchisédec, Abraham et ses descendants immédiats furent à la fois pères, princes et prophètes. Ils étaient les dépositaires de la volonté de Dieu et les gardiens de la prophétie; quelques-uns même présentent dans leur histoire des types de notre Seigneur. Il n'y eut, pendant cette longue période , qu'un nombre assez restreint de prédictions proprement dites ; mais elles sont toutes clairement messianiques, soit qu'elles distinguent les animaux purs des animaux impurs, soit qu'elles parlent du sacrifice, soit que Dieu fasse alliance avec Abraham (Gen. , VIII et XV). On y reconnaît déjà les premiers principes du mosaïsme.
La dispensation mosaïque , c'est-à-dire l'alliance de Dieu avec le peuple d'Israël par l'intermédiaire de Moïse, dura quinze cents ans; elle abonde en types personnels, matériels , cérémoniels et autres, Le peuple juif lui-même est un type vivant , dans ses institutions comme dans son histoire (Lév. , VI, 2-9; XVI, 21 ; XVII, 11. 1 Cor., X. Ephés., Héb., etc.
La dispensation évangélique, dont les grands principes se retrouvent déjà en germe dans l'économie précédente, repose sur les faits racontés dans les Evangiles, et spécialement quant à la vie et à la mort de notre Seigneur.
Les Actes nous montrent la vérité en action, soit chez les croyants considérés individuellement, soit dans les Eglises. Les doctrines fondées sur ces faits sont développées et exposées dans les Epîtres. L'Apocalypse enfin renferme , sous la forme de visions et de symboles, l'histoire de la vérité dans ses luttes avec l'erreur, l'histoire. de l'Eglise jusqu'à la fin des temps.
C'est avec ces livres que finit le développement de la vérité évangélique, du moins en ce qui concerne le monde actuel, et jusqu'au jour où « nous connaîtrons parfaitement. » Il y a peut-être dans la Bible des passages dont la pleine signification n'a pas encore été découverte, et qui, selon l'expression de Boyle, sont peut-être destinés à combattre quelque hérésie encore inconnue, à résoudre des doutes qui n'existent pas encore , à confondre une erreur qui n'a pas encore de nom, - peut-être à prouver une fois de plus, par un accomplissement prophétique, que la Bible est bien le livre de Dieu.
L'Ecriture est à cet égard comme les flots d'un beau lac, admirablement claire, mais immensément profonde. Nous ne pouvons tracer de limites à l'intelligence que nous pourrons en avoir, mais nous ne pourrons jamais la dépasser; nous ne pouvons attendre une révélation ultérieure, ni admettre à côté d'elle une révélation différente , comme celle, par exemple, que Rome voudrait nous faire trouver dans ses traditions humaines.
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