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Michael
DENTON
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Résumé
: L'il de la langouste est radicalement
différent de l'il bien connu de vertébrés:
Chez ceux-ci l'il comporte une lentille qui, par réfraction,
fait converger les rayons lumineux vers la rétine; ici
les rayons sont réfléchis par une sphère
formée de milliers de tubes carrés accolés,
et focalisés sur la rétine par cet effet géométrique.
Un tel il ne peut donc fonctionner que s'il est entièrement
et parfaitement constitué. Comment passer graduellement
d'un il fondé sur le principe de la réfraction
à un il fondé sur la réflexion ? Il
y a là une impossibilité totale qui devrait troubler
le sommeil des évolutionnistes s'ils avaient gardé
quelque souci du réel.
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L'OEIL DE LA LANGOUSTE1
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Il existe quantité
de types d'il dans le règne animal, dont certains
fondés sur des principes très différents
de l'appareil photographique qui caractérise l'il
bien connu des vertébrés. L'il de la langouste
(et des animaux voisins) ainsi que celui de la coquille Saint-Jacques
sont parmi les plus remarquables que l'on puisse trouver dans
l'ensemble de la biosphère.
L'un des traits les plus frappants de l'il de la langouste,
que l'on perçoit immédiatement même à
l'observation superficielle, est que ses facettes constituent
des carrés parfaits (voir la figure 1). La rareté
de cette forme en biologie fait que cet oeil ressemble plus à
un appareil artificiel qu'à une structure naturelle. Comme
l'astronome J.R.P. Angel l'a déclaré dans la revue
Science :
"La langouste est
l'animal qui, de tous les êtres vivants que je connais,
paraît avoir le moins de rapport avec la forme carrée.
Mais, au microscope; l'il d'une langouste fait penser au
quadrillage parfait du papier millimétré."2
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Figure
1: L'il de la langouste. |
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Si cet il a des facettes
carrées, c'est parce que le système visuel de la
langouste repose sur des phénomènes de réflexion.
Chaque unité oculaire consiste en un minuscule tube de
section carrée, à peu près deux fois plus
long que large, et dont les faces latérales sont des miroirs
plans parallèles. Les rayons lumineux qui y pénètrent
sont réfléchis sur les miroirs latéraux et
focalisés sur la rétine.
Les caractéristiques optiques de ce système ont
été élucidées pour la première
fois par Michael Land, de l'université du Sussex. 2 Le
dessin ci-dessous en illustre le principe fondamental :
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Figure
2: Description du fonctionnement de l'il de la langouste,
fondé sur la réflexion et non sur la réfraction. |
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Ce système optique
unique en son genre ne se rencontre que chez un groupe particulier
de crustacés - les décapodes à corps long
- qui comprend les crevettes grises, les crevettes roses et les
langoustes. Chez la grande majorité des crustacés
(et de tous les invertébrés), les yeux sont fondés
sur un principe totalement différent : la réfraction.
Dans ce cas, chaque unité oculaire possède une petite
lentille qui réfracte les rayons lumineux (c'est-à-dire
dévie leur trajet) de façon qu'ils convergent en
un point de la rétine. Les unités oculaires, dans
ces yeux fondés sur le principe de réfraction, sont
hexagonales ou rondes.
Tout le monde connaît ce type d'il puisqu'on l'observe
chez de nombreux insectes courants comme les libellules, les abeilles
et les guêpes.
Comment les yeux fondés sur la réflexion apparurent-ils
dans l'évolution, et par quels stades intermédiaires
passèrent-ils ? C'est un mystère, et d'autant plus
profond que les yeux fondés sur ce principe ne peuvent
produire une image bien focalisée qu'à la condition
expresse que les unités oculaires aient une section parfaitement
carrée, que la longueur soit exactement le double de leur
largeur et que leurs surfaces internes latérales soient
parfaitement plates et réfléchissantes. Elément
supplémentaire du mystère : la remarquable aptitude
de ces yeux à former une image par le système de
réflexion n'est mise à profit par la langouste que
lorsque le niveau d'illumination est faible. Lorsqu'il y a beaucoup
de lumière, le fonctionnement de l'il se modifie
: les pigments se déplacent de façon à empêcher
la formation de l'image par réflexion et à ne permettre
qu'aux rayons frappant directement les unités oculaires
d'atteindre la rétine.
Si l'on veut faire appel à quelque mécanisme darwinien
pour expliquer l'apparition de l'il fondé sur la
réflexion, on se heurte à de redoutables problèmes.
On suppose généralement qu'il a découlé
de l'évolution de l'il fondé sur la réfraction,
puisque celui-ci est bien plus répandu et présente
un agencement beaucoup plus simple. En outre, on observe chez
la langouste le passage d'un oeil à réfraction à
un oeil à réflexion au cours de son développement,
lorsque sa forme larvaire planctonique, nageant dans les eaux
de surface de la mer, cède la place à sa forme adulte
vivant sur le fond de l'océan.
Cette transformation est tout à fait étonnante,
car on a beaucoup de mal à imaginer une série de
types d'il assurant la transition entre celui qui repose
sur le principe de réfraction et celui qui repose sur le
principe de réflexion, tant diffèrent leurs agencements
respectifs sur le plan de la géométrie et du fonctionnement
optique. L'unité oculaire d'un type d'il de transition
devrait à la fois se situer à mi-chemin entre l'hexagone
et le carré, à mi-chemin entre la lentille réfractante
et la surface réfléchissante, et néanmoins
posséder les propriétés optiques nécessaires
à la formation d'une image. De plus, à supposer
même que l'on puisse imaginer une série de transitions,
on ne voit pas bien comment ces types d'yeux intermédiaires
auraient pu se révéler sélectivement avantageux.
Ce point est d'une importance majeure, car l'évolution
par la sélection naturelle ne peut parcourir une trajectoire
menant d'un point A à un point B qu'à la condition
que chaque étape sur cette trajectoire soit adaptivement
avantageuse et confère une certaine capacité de
survie à un organisme donné.
Pourquoi faudrait-il qu'un organisme abandonne un type d'il
parfaitement fonctionnel, fondé sur la réfraction,
pour se lancer sur la trajectoire pleine d'aléas menant
à un type d'il fondé sur la réflexion
? Les yeux à réfraction fournissent d'excellentes
capacités visuelles, comme en témoigne le vol de
la libellule. Nombre de crustacés apparentés de
près à la langouste, tels les crabes, occupent la
même niche écologique qu'elle, ont les mêmes
murs de prédateur, et possèdent des yeux à
réfraction. Ils survivent manifestement très bien,
dans le cadre d'un même niveau d'illumination, ce qui suggère
que l'avantage sélectif d'yeux à réflexion
ne doit pas être si considérable.
On pourrait penser que, dans le paysage adaptatif des yeux de
crustacés, la route menant à un "il parfait
fondé sur la réfraction" est beaucoup plus
courte, moins complexe et bien plus assurée que la trajectoire
extrêmement aléatoire menant de la réfraction
à la réflexion, de l'hexagone au carré, d'une
forme de surface courbe à une forme de surface plane, d'une
structure du type de la lentille à une structure du type
du miroir, et ainsi de suite.
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Figure
3: L'il de la coquille Saint-Jacques
Formation de l'image par un réflecteur concave .
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L'il de la langouste
n'est pas le seul à poser ce genre de problème.
Celui de la coquille Saint-Jacques du genre Pecten est aussi fondé
sur la réflexion. Le coquillage présente environ
trente yeux disposés sur le manteau, au bord de chacune
des deux valves (le manteau est un revêtement charnu qui
recouvre la face interne des valves). Chacun de ces yeux ne mesure
qu'un millimètre de diamètre environ. Le spécialiste
britannique des systèmes visuels d'invertébrés,
Michael Land, en a élucidé le fonctionnement optique,
qu'illustre le schéma ci-dessus.
Au premier abord, un il de coquille Saint-Jacques ne diffère
pas énormément d'un oeil de vertébré,
et voilà probablement pourquoi ce système optique
peu ordinaire n'a pas attiré l'attention jusqu'aux travaux
de Land dans les années 1960. Chacun des yeux de la coquille
Saint-Jacques contient une grosse lentille dont la face postérieure
est en contact avec la rétine. Derrière la rétine
se trouve une surface hémisphérique réfléchissante,
et derrière celle-ci une couche de pigment brun. L'image
rait, comme on le voit, de la réflexion des rayons lumineux
par la surface hémisphérique et de leur focalisation
sur la rétine. A propos de l'agencement de cet oeil, Land
écrit dans le Scientific American :
"La face antérieure de la lentille possède
une forme assez curieuse : elle est convexe au centre et concave
sur les bords, de sorte que sa fonction ne paraît pas tant
celle de concentrer les rayons lumineux au niveau du foyer que
de corriger un défaut optique présenté parle
miroir. (.'e dernier, en raison de sa forme, est en effet responsable
d'aberrations .sphériques, parce que les rayons réfléchis
par la région interne du miroir convergent au niveau d'un
foyer .situé plus à l'extérieur que le foyer
vers lequel convergent les rayons émanant des régions
externes du miroir. Dans les télescopes astronomiques du
type de Schmidt, l'aberration .sphérique due à un
miroir hémisphérique est corrigée par une
lentille mince de ,faible puissance, appelée la plaque
correctrice. De façon remarquable, la lentille de l'il
de la coquille Saint-Jacques semble bien accomplir le même
fonction."
Le trait le plus frappant de ce système visuel si complexe
est son apparente gratuité. Comment expliquer, au moyen
de la théorie de la sélection naturelle, qu'un organisme
aussi simple ait acquis un oeil capable de former une image parfaite
?
© Le Cep
n°11. 2ème trimestre 2000
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1
Reproduction autorisée de L'Evolution a-t-elle un sens
? (Fayard, 1998, pp.483-488). M. Denton est australien, spécialiste
de génétique humaine et s'est fait connaître
du public par son livre L'Evolution une théorie en crise,
disponible en livre de poche (Flammarion, collection Champ).
2
Angel, J.R.P (1979), "Lobster Eyes as X-Rays Télescope",
Astroph. J., 33, pp. 364-373. Voir aussi Hartline, B.K. (1980),
"Lobster Eye X-Ray Télescope Evisioned", Science,
pp. 207-247.
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